
spécifique de penchans et de facultés, etc., etc. Et, après tout, puisque
tous les philosophes accordent aux animaux des instincts , des
penchans et des facultés innés, qu’est-ce qui les autorise à faire dériver
les penchans et les facultés de l’homme du jeu toujours varié du hasard?
L’uniformité du caractère moral et intellectuel de toutes les nations
et même de tous les individus qui éprouvent cependant les impressions
les plus diverses, dépose en faveur de mon assertion, que l’homme
aussi a été muni originairement de ses penchans et de ses talens déterminés;
que par conséquent il ne peut y avoir aucune qualité, aucune
faculté factices, aucune disposition bonne ou vicieuse qu’on puisse
attribuer ou à la barbarie ou à la civilisation. La passion de Cicéron
pour la gloire littéraire, n’est pas plus factice que l’ambition du sauvage,
satisfaite par la destruction de son ennemi.
C’est encore une erreur de prétendre que le seul moyen de savoir à
quoi s’en tenir sur les effets de la civilisation, ou sur les qualités factices,
seroit de pouvoir observer des hommes qui n’auroient jamais eu
de communication avec aucun de leurs semblables. J’ai déjà répondu
à cette objection dans le Traité sur les dispositions innées. Je demande
à ces philosophes s’ils croiroient avoir bien étudié toutes les qualités
et toutes les facultés de l’éléphant, de l’orang-outang, du castor, de
l ’abeille, de la fourmi, après avoir observé un seul individu de ces
animaux? Or, l’homme est essentiellement destiné à vivre en société.
Tous ses penchans et tous ses talens sont calculés sur la vie sociale. Par
conséquent, son histoire, comme celle de tout être agissant, doit être
tirée de sa conduite dans la situation pour laquelle il fut formé, et
non pas des apparences qu’il montre dans un état forcé et extraordinaire.
Ainsi, un sauvage pris dans les bois, quand même il ne seroit
pas né idiot, est une exception, et ne peut servir d’exemple général.
Toutes les expériences et toutes les inductions relatives à l’éduca-
bilité de l’homme demandent à être faites sur des sociétés entières et
nullement sur des individus observés séparément. Dès - lors, quand
même on trouveroit que l’homme passe de l’état sauvage à celui de la
barbarie, et de celui de la barbarie à l’état de civilisation, on se con-
vaincroit qu’il ne s’éloigne jamais de sa nature.
11 suit donc de tout ce que je viens de dire, que l ’origine de toute
qualité et de toute faculté déterminées appartient à la nature, et nullement
à l’instruction accidentelle, aux rapports de la société ou à des
besoins factices. Mais si nous considérons combien ces mêmes qualités et
facultés sont plus nombreuses et plus intenses dans l’homme, combien
les circonvolutions inférieures-antérieures-moyennes du cerveau sont
plus développées dans l’homme que dans les animaux, on concevra facilement
que la perfectibilité de l ’espèce humaine doit infiniment surpasser
celle des brutes. La perfectibilité de celles-ci est bornée à leurs intérêts, à
leurs besoins qui, en raison de leur organisation mutilée, sont beaucoup
moins multipliés et beaucoup moins urgens. Exceptés l’inslinct de la propagation,
celui de l’amour de la progéniture et celui de la propre conservation
, presque tous leurs intérêts sont passagers. Chez presque toutes les
espèces, le degré de perfectibilité qu’elles peuvent atteindre, est borné à
1 individu et^ une seule vie. Il n’y a que peu d’exemples que la perfectibilité
se transmette par la naissance, et quelle prenne un caractère de spontanéité,
comme d’autres dispositions du corps. Les races de chiens qu’on
a constamment dressés à arrêter et à apporter le gibier, finiront par naître
avec ces deux dispositions. De même ces dispositions s’oblitèrent et
se perdent si 1 on cesse de les entretenir pendant plusieurs générations;
ce qui prouve bien que quelques espèces seroient susceptibles d'un
certain degré de perfectibilité, mais qui n’est nullement comparable
à 1 immense per-fectibilite de notre espèce. Outre les avantages de son
organisation, 1 homme possède encore tant de moyens extérieurs pour
agrandir la perfection, soit des individus, soit de l’espèce entière! La
tradition , le langage, l ’écriture, limprimerie^ les monumens, le commerce
social, le loisir, etc., sont autant d’instrumens dont il se sert
pour étendre la sphère de ses connoissances. Sur le fondement que lui
a laissé l ’âge précédent, il bâtit pour l’âge qui doit suivre, et parvient
ainsi à un degré de perfection, dans l’usage de ses qualités et de ses facultés,
qui ne peut être que le produit d’une longue expérience et des