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 ce  fanatifme  augmente  a mefure  qü’on  s’éloigne  de la Capitale :  
 mais ce  Peuple  eft fi peu éclairé fur fa Religion,  qu’il croit en général  
 en  remplir  les  devoirs,  en s’acquittant de quelques pratiques  
 extérieures,  & fur-tout en  obfervant  avec la  plus  grande  rigueur,  
 les jeûnes du Carême.  Il fe livre d’ailleurs  à  la débauche &  à  tous  
 fes penchants vicieux.  Les  bonnes moeurs  font  plus  rares parmi les  
 Ruifes  que  chez  les  Païens  leurs  voifîns.  La  façon  de  penfer des 
 expliqué le véritable fens de ces paroles, comme on le peut voir dans le Règlement Ecclé ■  
 fiaftique. Avant donc que d’entrer dans  les  différents  arrangements  qui regardent l’état  
 Monaftique, il faut faire connoître quelle eft la véritable origine des Moines, & indiquer  
 dans  quel  temps,  par  qui, de  quelle  façon  8c à quelle  intention les Moines  ont été  
 établis. 
 On voit par le Chapitre 6 des Nombres, qu’il y avoit chez les Hébreux un Ordre fem-  
 blable à l’état Monaftique, appellé l’Ordre Nazaréen : mais les Voeux n’étoient pas perpétuels.; 
  ils  n’étoient que pour un temps, 8c l’on ne s’engageoit par aucun ferment. Ce font  
 pareillement  des  raifons  très  pieufes  qui dans  le  commencement du Chriftianifme ont  
 donné naiffance  à l’état Monaftique. Cependant  les  perfonnes  les plus fages 8c les plus  
 éclairées  favent le tort que cet état a fait par la fuite  à la Société , ainfique les fcàndales  
 qu’il a caufés ; & ceft pour faire connoître  tous ces abus à ceux qui pourroient en douter,  
 que nous entrerons dans quelque détail fur ce fujet. 
 Il  faut d’abord favoir ce  que c’eft que le mot  d’état Monaftique, dans quel temps, &  
 où l’on s’en eft fervi, & fi l’on peut par-tout employer ce terme. 
 -  Le mot de Moine eft grec ; il fignifie ifolé, feul, qui eft fans compagnie, fans fociété. 
 Le  mot de Monaftere peut fignifier  aufli  Société, ou Communauté  de  plufieurs Solitaires. 
 Deux, raifons  contribuèrent  au  commencement  du  Chriftianifme, à  faire  embrafler  
 l’état Monaftique. Quelques-uns  choiûftànt cet état  du propre, mouvement de  leur con-  
 fcience, & fans y être portés par aucune vue humaine , fuivoient un penchant naturel qui  
 les appelloit à la folitude , & ils croyoient qu’il leur étoitimpoiïîble de faire leur falut dans  
 ce monde. O r , fuivant  cette opinion, non -feulement les bons Princes 8c les autres Chefs  
 des Etats que Dieu a appellés à gouverner les hommes, 8c qui font les images de la Divinité  
 pÉ la  terre,  ferpient privés  du  royaume  des Cieux, mais aufli  les Miniftres  des  
 jrois premiers  uecles  du  Chriftianifme ?  8ç les Apôtres mêmes en  auroienj  çcé  pxclus ? 
 Ruifes 
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 Ruiïès  fur  le Chriftianifme  eft  fi  extraordinaire  ]  qu’on  croiroic  
 que  cette  Religion  ,  fi  conforme  au  bonheur  &  à  l’ordre  de  la  
 Société ,  a fervi  à  rendre le Peuple Ruife plus méchant.  Un  aifaf-  
 fin ayant été pris &   condamné  au  fupplice ,  on  lui  demanda dans  
 l’interrogatoire  qu’on  lui  fit  fubir  ,  s’il avoit obfervé les jeûnes du  
 Carême 3  ce  fcélérat  fut  auifi  étonné  de  cette  queftion,  que le  
 pourroit  être  un parfait honnête-homme, dont  on  foupçonneroit  
 la probité.  Il répondit  avec vivacité, qu’il étoit  incapable de  mancomme  
 ne vivant point dans l’état Monaftique :  car au temps des Apôtres on  ne trouvoit  
 pas la moindre  trace  des Moines, comme le dit S. Chryfoftôme dans fon Difcours 2 5  fur  
 l’^Epître aux Hébreux. D’autres fe refugierent dans la folitude , pour éviter la cruauté des  
 Tyrans  & des  perfécuteurs de  1?. Eoi Chrétienne ,  fuivant  Sozomene, Livre  ier de  fon  
 Hiftoire, -Chapitre i a ,  & Nicéphore Çalift.of,  Livre 8 , Chapitre 5 9. Ainfi les Chrétiens  
 qui pour faire leur falut fe cachoient dans les déferts, en expliquant à la lettre les paroles  
 de J.,C.,.8c en abandonnant tout pour l’amour de lui, étoient de véritables Moines 5 parce  
 que loin de rien demander aux autres hommes, ils les fuyoient, 8c ne youloient pas même  
 les voir ni les' entendre, comme on le voit par le témoignage de Sozomene & de quelques  
 autres. Ils faifoient leur féjour dans la Palestine, dans l’Egypte,  l’Afrique , 8c dans d’autres. 
  lieux  fort  chauds, où  la te<rre , fans être  cultivée par  la  main  des  hommes, leur  
 fourniflpit  abondamment  des  fruits.  Ils  n’avoient  befoin ni d’habits  ni  de maifons,  ni  
 d’aucune autre chofe.  Ils fuppléoipnt cependant par le  travail  de leurs  mains  à  cè que la  
 terre leur refufoit. On peut ici citer pour preuve de  ce  que  l’on avance, plufieurs Hiftoir  
 res  des  anciens  Anachorettes , comme  celle  de  Théodoret dans  le  Livre  intitulé Philo  
 thée j celle de Jean Mofcüs, celle de Palladius dans fon Hiftoire Laufiaque, 8c plufieurs  
 autres. 
 Ces Solitaires n’avoient abfolument aucun Monaftere : ils vivoient .chacun féparémenp  
 ¿ans les déferts, comme nous venons de le dire. 
 Voici ce qui donna lieu à  l’établiiTement des Moines. Les héréfies ayant par-tout commencé  
 à  s’introduire dans  l’Eglife, les  Solitaires,  quoique  répandus chacun féparément  
 dans le déi^rr, avoient cependant o.ccafion  de  fe  voir  8ç  de  fe  parler quelquefois, pour  
 s’infttuire mutuellement.  Ils s’apperçurent ayeç douleur, que les maux qu’entraîne l’héré-  
 fie avoient pénétré jufque  dans  leurs déferts. Ils réfolurent,  pour leur  utilité commune  
 de vivre  déformais enfemble, fous des Directeurs éclairés qui pufient réfoudre leurs doutes  
 , &  détruire  les fauftes opinions  qui  naîtroient  parmi eux. Ce  changement  fut  alors  
 ¿falutaire ; ce  qui détermina plufieurs Saints Peres, & particulièrement Bafile le Grand y à  
 •y travailler, autant par cette première raifçn ,  que  par d’autres motifs pieux, comme on 
 voit dans Socrate, Liv. 4 , Chap. 21  , dans l’Hiftorien Eccléfiaftique Rufin, Livre x , Cha- 
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