f» remîmes en route , & arrivâmes enfin à Lenzenhof. Le vent
s’appaifa bientôt ; nous fîmes la pofte pour Wolmar fans aucun
accident ; ce qui étoit très rare. Le Pays étoit couvert de neige, &
la route très large : elle devint très étroite à la fortie de Wolmar ; le
chemin étoit tracé fur un tas de neige que les vents avoient amaifé
entre des paliifades : il n’étoit folide que dans les endroits battus ; les
Poftillons nous conduifoient avec les plus grandes précautions dans
cette route dangereufe. Nous touchions au moment d’être délivrés
de nos craintes, lorfque la voiture où nous étions difparut tout-à-
çoup : on voyoit à peine la tête des chevaux, & nous étions calfeutrés
dans notre voiture ; il ne reftoit qu’une petite ouverture vers le
haut de l’impériale, par où nous fortîmes fans attendre qu’on nous
apportât du fecours. Nous tentâmes envain tous les moyens poffi-
bles pour dégager notre voiture, en y attelant tous les chevaux de la
première : nous fûmes obligés d’envoyer chercher des pelles au plus
prochain V illage, & nous parvînmes enfin à déterrer la voiture & les
çhevaux, après avoir paifé une partie de la journée à cette opération.
Nous fîmes mettre au premier Village nos voitures fur les traîneaux,
& arrivâmes le 10 à deux heures après midi à Derpt. Nous
y apprîmes par des Ruifes qui venoient de Saint-Pétersbourg, que
la quantité de neige étoit fi confidérable fur la route, & que les
chemins étoient fi étroits, qu’il n’étoit pas poflible de voyager avec
nos voitures. Le Maître de la Pofte nous confirma dans la même
idée, & nous affura que nous n’arriverions pas à Saint-Pétersbourg
dans quinze jours < nous abandonnâmes donc nos voitures, & prîmes
dans cette Ville quatre traîneaux, deux pour nous, les deux
autres pour le Domeftiqüe & les équipages. Je connus pour la première
fois la facilité de voyager avec des traîneaux : nous allions
avec la plus grande vîteife, fans éprouver aucun accident. Le froid
augmcntoit cependant chaque jour â mefure que nous approchions
de Saint-Pétersbourg : le 11 le thermomètre fe foutenojt à douze
degrés
degrés & demi à midi, & il defcendoit de quatre ou cinq degrés
pendant la nuit. Prefqu’à découvert dans nos' traîneanx , nous
éprouvions les plus vives douleurs de ce froid rigoureux, auquel
nous n’étions pas accoutumés. Nous arrivâmes enfin à Saint-Pétersbourg
le 1 3 Février, après deux mois & demi de route. Chaque jour
avoit été marqué par des accidents fi multipliés , que j’avois défef,
péré d’arriver à temps en Ruflie pour mon obfervation.
J’allai fur-le-champ chez M. le Marquis de l’Hôpital, notre Am-
balfadeur, dont j’éprouvai bien des bontés. Il étoit au moment de
fon départ : M. le Baron de Breteuil y refta Miniftre Plénipotentiaire.
J’étois parti de France d’apres la demande que l’Académie de
Saint-Pétersbourg avoit faite à celle de Paris, d’envoyer un de fes
Membres en Sibérie, où quelques Aftronomes de Ruflie devoient
aufli fe rendre. Ces Aftronomes étoient déjà partis depuis plus d’un
mois, lorique j ’arrivai à Saint-Pétersbourg : leur départ & quelques
difficultés furvenues avant mon arrivée, avoient rendu problémati-
quemon voyage à Tobolsk. Des Académiciens de Pétersbourg pro-
poferent différents autres endroits de la Ruflie , d’un accès plus facile
que Tobolsk , & beaucoup moins éloignés ; mais la durée du
paffage de Vénus fur le Soleil étoit plus courte dans cette Capitale
de ia Sibérie que dans aucun autre endroit du Globe relie offrôit
alors la pofition la plus avantageufe, dont tout autre n’auroit pu me
dédommager. Il me fut aifé de faire goûter ces raifons à un Miniftre
aufli éclairé que M. le Baron de Breteuil. Il trouva auprès de M. le
Comte de Woronzof, Grand Chancelier de Ruflie, amateur &
protecteur des Sciences, toutes les facilités poflibles ; les obftacles
qu’on avoit fufcités furent levés, & mon départ fut enfin fixé au j g
jVIars.
L ’Impératrice Elilâbeth donna les ordres les plus précis à ce fujet.
Tome I, £)