D U G O U V E R N E M E N T
D E R U S S I E ,
D ep u is 86 i ju fq u ’en 1 7 6 7 .
S u i v a n t les Annales de la Pologne 6c de la Ruffie, ce dernier
Etat a été gouverné par une fuite de Souverains , Grands-Ducs ou
Czars iffus de la même Famille, depuis l’année 861 (1) jufqu’en
15 96. Le premier de ces Souverains s’appelloit Rurich, 6c le dernier
Fédor Iwanowich. Dans cet intervalle de plus de fept cents ans,
les aînés ont toujours fuccédé de droit, fans éprouver aucune con-
teftation de la part de leurs Freres ni de leurs Sujets, Cette longue
filiation fembleroit prouver que les RuiTes jouiffoient alors du prix
de la liberté. Les mêmes Annales, 6c tous les Hiftonens, nous re-
préfentent cependant cette Nation gouvernée par des Souverains
defpotes. Ce Gouvernement étoit, félon toutes les apparences ,
adouci par des ufages particuliers, puifqu’on ne voit pas que l’Etat
ait fouffert de grands troubles jufqu a la mort de Fédor Iwanowich.
Fédor Iwanowich mourut en 1596 fans enfants, Quelques
Hiftoriens prétendent que ce Prince fut empoifonné, avec fa Fille,
par Boris Godonou, fon Miniftre 6c fon Favori, La Princeife
mourut avant fon Pere. Boris Godonou ayant acquis la plus grande
autorité fous le Regne du Czar Fédor , fit aiTafliner à Uglicz en
x j9 7 le jeune Démétrius, héritier légitime (z) : il fe défit de l’Af-
faffin dont il s’étoit fervi : on rafa par fon ordre le Château d’Uglicz,
& l’on égorgea une partie des Habitants de la V ille , pour prouver
(1) Suivant quelques autres Hiftoriens , depuis l’année 700.
{ il Ce Prince étoit Frere duCzar Fédor, par une autre Mete,
fon innocence , 6c donner une marque éclatante de fon attachement
à la Famille Royale. C e Tyran defpote ne s’en tint pas là ; il
fit périr fous diiférents prétextes tous les Princes qui pouvoient avoir
“des prétentions au Trône, toutes les perfonnes en place qui leur
étoient attachées ; & entaifant crimes fur crimes, Boris monta fur
le Trône en 1J98 , & fe fit couronner par la Nation confternée.
Affis fur un Trône qu’il a teint du fang de fes R o is , la crainte & la
méfiance l’environnent. Cet Ufurpateur ne voit autour de lui que
des traîtres ou de nouveaux Prétendants : le plus léger foupçon lu»
fait rendre un Arrêt de mort contre celui qui l’a fait naître : le fang
innocent ne ceife de couler ; le glaive de la tyrannie étincelle de
toutes parts, le crime devient une vertu ; & la vertu gémiifante,
avilie, n’ofe plus fe montrer. Boris établit par de nouveaux forfaits
l’efclavage le plus affreux, 6C croit s'affiner le Trône; mais il en eft
chafTé prefqu’auffi-tôt par un nouvel Ufurpateur, qui eft affaffiné
lui-même en 1 606. La Ruffie ne préfente plus qu’un état de défor-
dre : les Prétendants au Trône fe multiplient ; ils font fucceffivemenc
afTaffinés ou détrônés ; les troubles augmentent chaque jour, & fe
perpétuent jufqu’en 1613.
Quoique la Ruffie n’eût jamais été un Royaume éleétif, la Nation
fut obligée dans cette circonftance de fe choifir un Souverain r
Michel Romanof, grand-pere du Czar Pierre, fut élu la même
année par une Affemblée des principaux Boyards , & les RuiTes fe
fournirent à un jeune homme de quinze ans, fans rien exiger de
lui ( 1). La facilité que les RuiTes eurent alors de changer l’ancienne
forme du Gouvernement, fuppofe, puifqu’ils ne l’ont pas fait ,
qu’ils n’avoient aucune idée de la liberté, ou qu’ils étoient bien avilis.
Son Fils, Alexis Mikaelowitz, monta fur le Trône en 1645,fans
autre forme d eleétion. Son Regne fut troublé par des féditions 6c des
(1) M. de Voltaire, Tome I , page 80, édition de Paris, chez Panckoucke.