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 ma toilette,  dont je m’étois  peu embarraifé  ,  les  confirmoit  dans  
 l’idée qu’ils avoient prife de moi. 
 Le  Gouverneur  &   quelques  autres  perfonnes  furent feuls convaincus  
 que l’obfervation  du paifage de Vénus fur le Soleil  étoit le  
 fujet de mon voyage  :  tout  le refte de la Ville étoit livré à la fuper-  
 ftition.  Les moins ignorants débitoient fur cette  obfervation les impertinences  
 les  plus  abfurdes,  tandis que  les autres  attendoient ce  
 moment  comme  le  dernier  du  genre  humain. Us me regardoient  
 comme l’auteur  du  débordement  de  l’Irtysz, Il fut  ii  confidérable  
 cette année, qu’une  partie de la baffe Ville fut fubmergée jufqu’aux  
 coïts, & plulieurs perfonnes perdirent la vie, en emportant leurs effets  
 à travers  les  torrents qui  culbutoient &  entraînoient leurs maifons.  
 Plulieurs parties de la montagne fe détachèrent eiidifférents endroits,  
 &  fe précipitèrent avec un bruit effroyable dans lariviere. Quelques  
 Habitants qui avoient  leurs maifons  fer  les  bords  de cette montagne  
 , furent obligés de les abandonner,  dans la crainte d’être entraînés  
 dans la riviere, Le Magafin du Sel fut totalement fubmergé ; &  
 quoiqu’on  eût employé les moyens les plus prompts pour en  retirer  
 le Sel , la plus grande partie fut perdue. La plaine  fituée au bas de la  
 montagne de Tobolsk n’offroit plus à ceux qui  étoient fur fon fom-  
 met,  que  des  Ifles  difperfées  dans  cette  furface  fubmergée,  dont  
 l ’étendue n’étoic limitée que par celle de la vue. 
 Cette riviere déborde  cependant  tous les ans  à  la  fonte des neiges  
 :  mais  on  ne fe  rappelloit point qu’elle  eût  jamais  produit des  
 effets fi  funeftes ; ce  qui  donnoit lieu à toutes les extravagances de  
 ce Peuple, qui  ne voyoit  de foulagement à tous fes maux que  dans  
 mon départ de Tobolsk. Uniquement occupé  de mon obfervation,  
 j’ignorois abfolument tout ce qui fe paffoit à ce fujet; & j’étois fi tranquille  
 ,  que  je  laiffois  toujours  chez  moi ma garde  , pendant  que  
 j ’allois à mon Obfervatoire  avec mon Interprète  ,  ou  quelquefois 
 avec l’Horloger ;  mais elle  eut  ordre  de ne pas me quitter.  Quelques  
 Ruffes  m’avertirent  de ne pas aller  feul à mon Obfervatoire ,  
 &  de me précautionner contre l’infolenee de la Populace ,  capable  
 de  tout dans ces moments d’ivreffe. L ’avis étoit trop prudent pour  
 que je ne  le fuiviffe pas : je pris même dès-lors  le  parti de  palfer la  
 plupart  des  nuits à mon Obfervatoire, dans la crainte qu’il ne leur  
 prît fantaifie de le  culbuter. Le 4 du même mois  le vent me fit courir  
 les plus grands rifques de  le voir  renverfé.  Il  étoit fi violent  &  fi  
 confiant, que je ne fus  raffuré que le f   :  il  s’appaifa vers midi, 
 Jetouchois enfin au moment de remplir l’objet de mon voyage :  
 le jour  fuivant ( 6 Juin )  devoit remplir tous mes défirs. M. de S01-  
 manof, M.  le  Comte  de  Pouskin,  &  l’Archevêque de Tobolsk „  
 dont  je  ne  puis  trop me louer ,  m’ayant témoigné la  plus  grande  
 envie de voir ce phénomène, je fis préparer une tente, dans laquelle  
 je  plaçai  une Lunette pour  eux  &  leurs familles,  afin de n’être pas  
 troublé pendant mes opérations. 
 J’employai  la  journée  du y  à difpofer  tous mes inffruments, &  
 me  déterminai  à  paffer  la  nuit dans mon Obfervatoire.  Je n avois  
 rien à délirer.  Tout m’annonçoit  le fuccès  de mon  obfervation  le  
 Ciel étoit ferein, le Soleil fe coucha fous un horifon dégagé de vapeurs  
 ;  la tendre  lueur  du  crépufcule ,  &   le  calme parfait qui  ré-  
 gnôit dans la Nature, portoient le plaifir dans mon ame tranquille.  
 Je fis fouper tout mon monde. Mon bonheur me  fuffifoit. Je ne fus  
 pas heureux  long-temps.  Etant  forti vers  dix heures  pour en jouir'  
 dans le filence,  je fus anéanti à la vue des brouillards qui privoient  
 les  Etoiles  d’une  partie  de  leur  lumière.  Confterné,  je  parcours  
 1 horifon : des nuages fe forment déjà de toutes parts ;  ils deviennent  
 plus épais a chaque inftant ;  l’obfcurité de la nuit augmente, le Ciel  
 difparoit ;  & bien-tôt tout l’hémifphere,  couvert d’un  feul & fem-  
 bre nuage, fait évanouir toutes mes efpérances, & me plonge dans  
 le défefpoir le plus affreux.