D E L A P O P U L A T I O N ,
D U C O M M E R C E , D E L A M A R IN E , DES F IN A N C E S ,
E T D E S A R M É E S D E R U S S I E .
U N État ne doit fa puiflance qu a fa population, & dans bien des
Pays cet objet eft celui dont le Gouvernement s’occupe le moins.
La corruption des moeurs, le luxe & la mifere des Peuples, font les
principaux obftacles qui s’oppofent à la population ; .car on fait que
les conjonétions illicites contribuent peu à la propagation de l’ef-
pece. Le luxe , en augmentant les befoins , fait craindre l'embarras
d’une nombreufe famille, & la mifere anéantitfouvent jufqu’aux
défirs de multiplier fon efpece.
Dans les Pays du Nord , le climat eft un nouvel obftacle à la
population : les contrées des Lapons , des Samoïedes, & tout le
Nord de la Ruffie , ont été dépeuplées de tous les temps, & le feront
toujours , à caufe de l’infertilité des terres, & de la mauvaifo
qualité des nourritures dont ces Peuples font obligés de faire ufage ;
elles n’ont prefqu’aucun fuc nourricier , & la Nature entiere eft
dans une inertie perpétuelle dans ces contrées : on y reconnoît à
peine quelques principes d’aélivité. Par les raifons contraires, les
déforts de la partie méridionale de la Sibérie & de toute la Ruffie,
ont été autrefois très peuplés, étant iîtués fous un climat plus tempéré.
Les émigrations des Huns & des Scythes,attellent cette vérité,
Suivant l’opinion de prefque tous les Philofophes, le tempérament
agit moins dans les climats du Nord que dans ceux du
Midi : les Peuples feptentrionaux font moins portés aux plaifirs de
1 amour. Ce fontimenc eft chafte & légitime parmi eux, & prefque
toujours criminel parmi les Peuples Méridionaux.
v Les obfervations que j’ai faites en Ruffie font totalement oppo-
fées à cette opinion ; elles exceptent les Ruffes de cette loi générale
, & fes caufes morales femblent donner la folution de cette
contrariété apparente. Les femmes étant livrées à elles-mêmes & à
ioifiveté, les plus petites pallions doivent produire de grands effets.
Dans le Peuple, les hommes, les femmes & les enfants couchent
pele-mele, fans aucune efpece de pudeur (i). Dès-lors leurs tempéraments
étant excités par la préfence des objets, les deux foxes fe
livrent de bonne heure à la diffolutiôn. Quoique les bains affoiblif-
font pour le moment ceux qui en font ufage ( i ) , la flagellation
qu ils y reçoivent donne cependant de l’aâivité aux fluides, & du
reffort aux organes ( 3 j ; elle anime les pliions. Ces caufes particulières
doivent néceflairement produire de grands changements dans
les effets qui réfultent du climat.
La partie de la Ruffie que j ai traverfëe eft la plus peuplée ; elle
tient un milieu entre les contrées glacées du Nord & les contrées
temperées du Midi. Ces dernieres font défertes à caufo des émigrations
des Peuples qui en font fortis, & ayant d’ailleurs été dévaf-
tees par les conquêtes de Gengisfcan & de fes iucceileurs. La route
que }’ai fuivie proît par conféquent la plus propre à nous donner
des connoiffances exaétes de la population de la Ruffie.
Je n entrois dans aucune maifon durant mon voyage , que
je ne minformafle de l’âge, auquel les peres & meres avoient été
maries, du nombre des enfants qu’ils avoient eus , de leur éduca*
(1) V o y e \ pages 6$ ôc 67.
(1) Vcyt\ page 53.
(3) La flagellation donne de Fadtivité aux fluides, & du reflort aux organes, quoiqu’elle
detruife la fenfibilité des houpes nerveufes dont j’ai parlé page n o * Sans leurs bains la
machine animale fe détruiroit promptement»