membres de l’enfant commencent à prendre quelque confiftance ,
qu’on l’oblige à ne prendre fa nourriture que de la main droite :
cela eft dans l’ordre, dit-on, d’une éducation honnête. Il contràéte
bientôt l’habitude défe fervir par préférence du bras droit, & infen-
fiblement il n’a de l’adreffe dans tous fes exercices du corps que darts les
mouvements qui fe font à droite. Les difficultés qu’on éprouve de la
part dés enfants, pour les obliger à fe fervir par préférence du bras
droit, prouvent évidemment que la Nature n’eft pour rien dans
cet abus ; & l’embarras & la maladreffe de ceux qui n’ont plus que
le bras gauche, prouvent également l’utilité de laiifer aux enfants
là liberté de fe fervir indifféremment des deux bras , & la néeeffité
de les obliger par la fuite à faire à droite & à gauche les exercices
reç;us.
L ’éducation phyfique que j’ai remarquée en Sibérie fe pratique
dans toute la Ruffie, excepté chez les Grands , ou elle a foufferc
quelques changements, à mefure qu’ils ont commencé à fe civilifer.
Quelque avantage qu’ait cette éducationfur celle des Nations livrées
au luxe & à la molleffe , il faut convenir cependant qu’il meurt,
dans le Peuple fur-tout, une prodigieüfe quantité d’enfants : il
én refte rarement un tiers dans une famille -, fouvent les peres &
meres n’en confervent que trois ou quatre de feize à dix-huit auxquels
ils ont donné le jour : mais plufieurs caufes concourent à dépeupler
perpétuellement les Hameaux difperfés dans ces vaftes
déferts.
La petite vérole emporte près de la moitié des enfants, & quelquefois
plus : le fcorbut & la débauche des peres & meres leur occafîonnent
quantité de maladies inconnues ailleurs aux enfans', peut-être parce
qu’ils n’ont dans ce Pays d’autres remedes que leurs étuves : elles
font très falutaires à ceux qui n’éprouvent que les maladies analogues
au climat 3 mais elles ne font qu’un palliatif pour les maladies vénériennës
( 1 ). Ces dernieres y font plus dangereufes que partout ailleurs,
parce que le fcorbut s’y trouve prefque toujours réuni,& que le remede
propre à une de ces maladies eft toujours contraire à l’autre. Les maladies
vénériennes font fi répandues dans la Sibérie & la Tartarie fep-
tentrionale, qu’il eft à craindre que par la fuite des temps elles n’y
détruifent totalement l’efpece humaine. La maniéré dont ces Peuplés
vivent dans leurs chaumières doit en accélérer le moment, à caufe de
l’excès de libertinage qu’elle y occafionne. Ils ne connoiffent point
l’ufage des lits ; ils couchent pêle-mêle prefque nuds fur des bancs & fur
les poêles : les peres & les meres ne fauroient jouir des droits du mariage
que les enfants n’en foient témoins. La jeuneffe plutôt inftruite
qu’ailleurs , a trop de facilité, pour ne pas fe livrer à la diffolution.
Quoique je me fuffe d’abord décidé à paffer la nuit dans le Hameau
de Melechina, l’odeur infupportable qu’on refpiroit dans
la chambre où j’étois, m’obligea d’en partir quelques heures après
mon arrivée. Ces Habitants enfermés dans leurs chambres la plus
grande partie de l’année, ne communiquent avec l’àir extérieur que
par des fenêtres d’un pied en quarré toujours fermées, & par un
petit paffage qu’ils ouvrent quelque temps lé matin, afin que la fumée
fe diffipe ; de forte qu’ils vivent dans des vapeurs infeétes qui
ont -vieilli & fermenté près de neuf mois de l’année.
Je quittai les montagnes' en fortant de Melechina , & me
( i ) Quelques Auteurs prétendent cependant que les.Ruffes font ufage dans cette
maladie du iubliqié corrofif > & en particulier M. Macquer dans fon Diâionnaire de
Chymie ( T. II, p. 65 ). On fait d’ailleurs,dit cet Auteur,que l’ufage interne du fublimé-
■corrofif eft établi avec fuccès depuis long-temps chez les Tartares & chez les Rufles,
que leur maniéré de vivre fans retenue avec toutes fortes de femmes, expofe continuellement
à accumuler des maladies vénériennes les unes fur les autres.
Je n’ai vu nulle part, dans ma route de Pétersbourg à Tobolsk, qu’on y fît ufage du
fublimé corrofif, &_j’ai fu que des gens opulents attaqués de cette maladie, paffoient
en Europe pour s’en faire traiter. Peut-être a-t-il été abandonné à caufe des fuites fâ-
cheufes que ce remede peut produire lorfqu’il eft mal adminiftré*
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