Les femmes font généralement belles à Tobolsk : elles ont la
peau de la plus grande blancheur, une phyfionomie douce & agréable
• leurs yeux font noirs, languiffants, & toujours baillés : elles
n’oient jamais regarder un homme en face : elles n ont point de
coëffures ; mais elles font ufage de mouchoirs de couleurs, qu’elles
entrelacent avec tant d’art dans l»irs cheveux , prefque toujours
noirs & fans poudre, que cet arrangement leur donne l’air le
plus féduifanr. Elles mettent toutes du rouge , les filles comme les
femmes ; les Servantes, & une partie du Peuple font même dans
cet ufage.
Les femmes font communément bien faites juiqu’à 1 âge de dix-
huit à vingt ans ; mais leurs jambes font toujours grolfes, ainfi que
leurs pieds. La Nature femble avoir prévu en cela l’embonpoint
quelles doivent avoir un jour, & qui femble demander des points
d’appui très folides. v
Les bains qu’elles prennent deux fois par femaine contribuent
fur-tout à leur déformer la taille : ils occasionnent un relâchement
dans toutes les parties du corps, qui eft caufe qu’avant l'âge de trente,
ans elles font prefque paffées,
Leurs habillements ont préfentement beaucoup de rapport avec
ceux du refte de l’Europe. Celui des hommes en place eft abfolur
ment le même à Tobolsk & dans toute la Ruffie. Quelques Négociants
, les Gens d’Affaires des Seigneurs, & le Peuple, font prefque
les feuls qui ayent confervé l’habit ancien , ainfi que la barbe, Je
n’ai vu à Tobolsk quequelques Gentilshommes difgraciés, qui con-
fervaffent ces anciens ufages ; fans doute qu’ils les avoient repris.
L ’habillement des femmes, à la coëffure près, ne différé à Tobolsk
de celui d’Europe, que dans tout ce qui peut avoir rapport à nos
modes , qu’elles ne connoiffent pas : elles portent communément
pne robe volante en forme de domino. Dans les grands jours de cérémonie
,
rémonie, leurs robes ont beaucoup de rapport aux manteaux trouffés
qu’on portoit anciennement en 'France. Cet habillement a paffé de
Pétersbourg â Tobolsk.
Les hommes & les femmes font pour l’ordinaire richement ha-'
billes : ils tirent leurs étoffes de Mofcou, & quelquefois de la Chine
; mais à Tobolsk, ainfi que dans toute la Ruffie , les deux fexes
font très malpropres, malgré les bains qu’ils prennent deux fois par
femaine. Les femmes changent rarement de linge, & elles ne connoiffent
point tout ce détail de vêtements qui forment le négligé des
femmes d’Europe ; négligé fouvent plus féduifant que la plus belle
parure : auifi eft-il rare d’affifter à la toilette des femmes Ruflès.
A Tobolsk & dans la plus grande partie de la Ruffie, les per-
fonnes du premier rang n’ont dans leurs maifons qu’un lit pour le
mari & pour la femme , & quelques-uns pour les enfants : toutes
les autres perfonnes de la maifon couchent communément fur des
bancs ou fur des nattes, qu’ils étendent par terre dans les différents
appartements (i). Les lits n’ont point de rideaux; & au lieu de tra-
verfin , le mari & la femme ont fept à huit oreillers, plus petits les
uns que les autres, qui forment deux pyramides. C e lit eft ordinairement
leur principal meuble. Ils ont à Tobolsk dans cet appartement
, quelques chaifes de bois, un gros poêle, & une petite table.
Il n’y avoit pas dans toute la V ille de Tobolsk, une feule maifon
qui contînt quelque efpece de tapifferie : des poutres placées les unes
fur ies autres , mais plus unies qu’a l’ordinaire , des bancs, & quelques
chaifes de bois, corqpofoient tons les meubles de leurs appartements.
Les hommes font extrêmement jaloux de leurs femmes â T o -
• (*),En 1663 les Boyards (les perfonnes .de qualité ) avoient pour lit des planches, ou
4es ba,ncs, fur lefquels on étaloit une peau ou une couverture : les maifons etoient fans
meubles, & prefque toutes les tables à mangei fans linge. M» de Yoltaire 3 Hiftoire de la
Rulfie, Tome I , page zo.
Tome I. X