L ’obfervation de ce paflage offroit à l ’Univers pour la première
fo is , le moyen de déterminer avec exaétitude la parallaxe du Soleil.
C e phénomène attendu depuis plus d’unfiecle, fixoit les voeux
de tous les Aftronomes : tous défiroient d’en partager la gloire. Le
célébré Halley en l’annonçant, fit voir le premier l’importance de
ce phénomène, & porta au tombeau les regrets de ne pouvoir en
etre le témoin. Toute l’Europe favante avoit voulu concourir à la
léuffite de cette obfervation. Les Souverains, au milieu d’une guerre
difpendieufe, n’avoient rien négligé pour en aifurer le fuccès. Il
pouvoit fervir d’époque à leur gloire, & devenir la fource des plus
grands avantages pour leurs Sujets & pour l’humanité.
Revenir en France fans avoir rempli l'objet de mon voyage, être
privé du fruit .de tous les dangers que j’avois courus, des fatigues
auxquelles je n’avois rpfifté que par le défir & l’efpérance du fuccès;
en être privé par un nuage au moment même où tout me l’afluroit ;
ce font des fituations qu’on ne peut que fentir,
Dans l’affreux défefpoir où j’étois, je ne joujifois pas même de la
foible confolation de voir quelqu’un qui y prît part. Tous ceux qui
m’accompagnoient en avoient été les témoins : ils étoient rentrés
dans l’Obfervatoire, où je les trouvai dormant du plus profond fom-
meil. Je les éveillai tous ; ils me laiiferent feul ; j’en étois moins
malheureux.
Je palfai toute la nuit dans cette cruelle fituation : je fortois, je
rentrais à chaque inftant ; je ne pouvois relier ni aflis ni debout,
tant j’étois agité,»
Il faut avoir éprouvé ces cruels moments, pour pouvoir jouir de
l’excès de plaifir que me procura le lever du Soleil, en faifant renaître
mes efpérances. Les nuages étoient cependant encore fi épais,
que cette contrée reiloit plongée dans les ténebres, quoique cet
aftre l’éclairât. Une teinte rougeâtre répandue furies nuages étoit
prefque le feul indice de fa préfence : majs un vent d’Eft chaffe ce
'fombre
fombre voile vers le couchant, & met bien-tôt a découvert une
partie du Ciel à lhorifon : elle augmente infenfiblement; les nuées
offrent déjà une couleur blanchâtre, qui s’anime à chaque inftant ;
la joie coule dans tous mes membres , & donne une nouvelle vie à
toute mon exiftence. Les nuages continuent à fe diffiper , la Nature
reprend nn air riant, tout célébré le retour d’un beau jour ; & mon
ame ravie, puifg fans çeffe de nouveaux plaifirs dans mes défirs animés
par l’efpérancp.
Le Gouverneur arrive avec M. Pouskin, & leur famille ; ils par-
tageoient ma joie. L ’Archevêque & quelques Archimandrites les
fuivirent de près, J’avois augmenté ma garde, dans la crainte d’être
aifailli par une multitude de curieux : précaution inutile. Tous le?
Habitants s’étoient enfermés dans les Eglifes & dans leurs maifons.
On ne voyoit cependant pas encore le Soleil mais tout annpnçoit
fa prompte apparition. Je me difpofë à mon obfervation ; les aflif-
tants entrent dans la tente que j’avois préparée pour eux. Mon Horloger
étoit chargé d’écrire , & d’avoir l’oeuil fur la Pendule, pendant
que mon Interprète devoit compter. Le calme & la férénité de l’air
m avoient déterminé à tranfporter mes inftruments hors de l’Obfer-
vatoire , pour les mouvoir plus facilement. J’apperçus bien-tôt un
des bords du Soleil : c’étoit le temps où Vénus devoit entrer fur cet
Aftre, mais vers le bord oppoie. C e bord' étoit encore dans les
nuages. Immobile, & l’ceuil fixé à ma Lunette, mes défirs parcourent
un million de fois à chaque inftant, l’efpace immenfe qui me
fépare de cet Aftre. Que ce nuage tardoit à difparoître ! Il fe diffipe :
enfin j’apperçois Vénus déjà entrée fur le Soleil, & je me difpofe à
obferver la phafe ellèntielle (l’entrée totale ), Quoique le Ciel doit
parfaitement ferein, la crainte trouble encore mes plaifirs. Ce moment
approche î un frémiflèment s’empare de tous mes membres ;
il faut que je faffe ufage de toute ma réflexion, pour ne pas manquer
mon obfervation, J obferve enfin cette phafe, & un avertiflèmenc
Tome I, L