quelques heures à Dektereva, où je devois prendre des chevaux
pour la derniere fois. Etant féparé de la Ville de Tobolsk par la rivière
Irtysz, je m’atçendois à de nouvelles difficultés de la part des
Habitants de ce Hameau : je n’en éprouvai cependant aucune. On
traverfoit encore à Tobolsk la riviere fur la glace , fans doute parce
que ce partage étant plus fréquenté, la neige battue par les pieds des
hommes & des animaux faifoit corps avec la glace, l’avoit confo-
lidée, & en avoit augmenté l’épaiffeur. i
J’arrivai enfin à Tobolsk le 10 A v r il, fix jours avant la débâcle,'
après avoir fait en traîneau depuis Saint-Pétersbourg, huit cents
lieues environ , ou trois mille cent dix-huit verfts en un mois,
quoique j’euife été retardé par beaucoup d’accidents, & par la difficulté
d’avoir des chevaux.
Dès que je fus arrivé, j’allai voir M. de Soimonof, qui en étoit le
Gouverneur. Il envoya chercher fes filles : la plus âgée étoit veuve ;
elle vint m’embrafler fur la bouche, & prit ma main pour la baifer.
Peu au fait de cette étiquette Ruffe, je fus d’abord un peu déconcerté
: je me remis bien-tôt. Les deux autres, dont la plus jeune
avoit dix-neuf à vingt ans, s’étant approchées pour le même motif,
je fus au devant d’elles : après les avoir embralfées félon leur ufage ,
je baifai leurs mains, & retirai la mienne. Selon l’étiquette , je devois
en effet faire un baifer fur leurs mains, pendant qu’elles en
faifoient un fur la mienne ; mais je devois attendre à ma place ,
qu’elles vinifient m’embraffer.
Le Gouverneur me fit l’accueil le plus honnête : il me témoigna
l’eftime qu’il avoit pour les Sciences ; il les aime & les cultive. Il me
fit donner une garde, compofée d’un bas Officier & de trois Grenadiers
; il me procura en même-temps tous les fecours dont j’avois
befoin.
Je m’occupai dès les premiers jours à faire conftruire mon Ob-
fervatoire, & généralement tout ce qui y avoit rapport. Il ne fut en
état, malgré mes foins, que le 11 de Mai. J’y plaçai auffi-tôt mes
inftruments. Le 18 du même mois le temps, quoique couvert, me
permit d’obferver plufieurs phafes de l’éclipfe de Lune. Je m’étois
préparé le 3 pour celle du Soleil, invifible en France. Cette obfer-
vation étoit très précieufe : elle m’offroit un des meilleurs moyens
de déterminer avec précifion la longitude de Tobolsk , & je n’avois
prefqu’aucune efpérance de pouvoir obferver les éclipfes des Satellites
de Jupiter, parce que le Soleil, éclaire prefque perpétuellement
cet hémifphere en été ; & d’ailleurs cette éclipfe étant vifible en
Suede, en Dannemarck & à Saint-Pétersbourg, j’étois sûr d’avoir
des obfervations correfpondantes aux miennes. Le Ciel fut encore
couvert au commencement de l’éciipfe r il tomba même quantité
de neige, quoiquën Juin. J’obfervâi cependant la fin avec la plus
grande exa&itude. La longitude de Tobolsk, qui réfulte de cette
obfervation , étant comparée à celle de Stokolm, que M. Deliile a
bien voulu me communiquer, donne quatre heures vingt-trois minutes
trente-quatre fécondés, par rapport au Méridien de Paris.
Les Habitants de cette V ille , peu accoutumés à voir des Etrangers
, avoient été étonnés de mon arrivée : ils a voient vu mon Ob-
fervatoire s’élever auffi-tôt ; il étoit d’une forme très différente de
celle de leurs bâtiments. Ils y trouvèrent du myftere. Sa fituation
fur une montagne, d’où je découvrais tout l’horifon , les furprit
beaucoup. Il étoit d’ailleurs à un quart de lieue de la Ville. Ils for-.
merent d’abord des conjectures vagues & fort bizarres : mais à la vue
d’un quart de Cercle, des Pendules, d’une Machine Parallaétique,
d’une Lunette de dix neuf pieds, inftruments abfolument nouveaux
pour eux, ils ne doutèrent plus que je ne fuffe un Magicien. J’étois
occupé toute la journée à obferver le Soleil, pour régler mes Pendules,
&c effayermes Lunettes, La nuit j’obfervois la Lune & les
Etoiles : je faifois ufage fur-tout d’une petite lampe placée à mon
quart de Cercle, pour voir les fils du micromètre 3 je ne revenois