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 uns pour les foumettre, Les Tchouktchi font les plus féroces & les plus  
 cruels ennemis des Ruffes. Us ont touj ours confervé leur liberté, quoique  
 les Ruffes ayent fur eux l’avantage des armes à feu, & des troupes  
 aguerries. Cependant comme les Ruffes envoy oient continuellement  
 de nouvelles troupes contr’eux, ils les auraient détruits 011 fubjugués  
 par la fuite des temps, fans les Ioukagires leurs voiiins, qui leur prédirent  
 cet événement,  s’ils n’oppofoient que des fléchés aux  armes  
 à feu des Ruffes.  Ils leur confeillerent de  fondre  fur  l’artillerie des  
 Ruffes dès qu’ils les rencontreroient, de s’en emparer, & leur perfua-  
 derent qu’ils en triompheroient aifément, parce qu’ils n etoient jamais  
 en  grand  nombre.  Le  fuccès  juftifia  ce  que  les  Ioukagires  
 avoient prédit. Quelques années avant mon arrivée à Tobolsk ,,un  
 corps de  troupes Ruffes marcha  contre les Tchouktchi ; le Général  
 Ruffe envoya en avant un petit détachement avec  quelque  artillerie  
 : ces Troupes furent affaillies & égorgées au moment qu’elles s’y  
 attendoient le moins ; quelques Soldats échappèrent a peine pour en  
 porter la nouvelle au Général Ruffe.  Il s avança  auflvtot contre ce  
 Peuple ; il fut battu & obligé de demander la paix. On  convint  de  
 part  ôc  d’autre  que les  Chefs &  une  prtie  des  Troupes  fe  ren-  
 droient fans armes dans un Hameau voifin  des  deux  armees.  Les  
 Tchouktchi remplirent  exactement  la convention ;  les Ruffes  fe  
 rendirent  au  rendez - vous,  en  apparence  fans  armes ; mais  ils  
 avoient caché fous leur habit une efpece de coutelas que lesPayfans  
 Ruffes portent toujours à leur côté. Les Ruffes entrèrent dans toutes  
 les  vues que  les Tchouktchi  leur  propoferent : ils leur firent boire  
 une fi grande quantité d’eau-de-vie , qu ils les enivrèrent bien-tot;  
 & ils en égorgerent la  plus grande partie pendant qu’ils dormoient.  
 Les Ruffes allèrent attaquer aufli-tôt l’armée des Tchouktchi, qui fe  
 fliuva dans les montagnes , leur Prince & les principaux Chefs ayant  
 péri dans  le maffacre que des  Ruffes avoient  fait  des  Troupes .de 
 e n   S i b é r i e .  
 cette Nation.  J’ai fu ce détail par un jeune Prince, neveu du C h e f  
 deS Tchouktchi ( 1). Les Ruffes l’avoient emmené prifonnier à Tobolsk  
 ; il y vivoit dans l’infortune,  quoiqu’en  liberté.  Le Gouverneur  
 fourniffoit à fa fubfiftance. Cet infortuné Prince , dans le défîr  
 d’âvoir fa liberté, me fit prier  (z) de le prendre pour domeftique, &   
 de l’emmener avec moi.' Les Ruffes s’occupoient encore,  en  1 7 6 1 ,  
 à faire la guerre à ces malheureux Peuples,au-lieu de les laiffer tranquilles  
 dans leurs montagnes glacées. 
 La plupart des autres Peuples,  comme les Kamtchadals ,  les  la-  
 kouti,  les Tungoufes, quoique fubjugués, font  toujours en  garde  
 contre les Ruffes  ; ces -derniers ayant  voulu envoyer  des  Ingénieurs  
 pour lever le cours du Fleuve Amour, & examiner fi  l’on ne pourrait  
 pas y établir quelque navigation f   les Peuples qui  habitent  les  
 bords de ce Fleuve , forcèrent les Ruffes d’abandonner leur projet. 
 Des multitudes de Hordes Tartares habitent les  contrées  fîtuée»  
 au Midi de  la Ruflie : elles obligent  les Ruffes  d’entretenir  perpétuellement  
 fur ces limites des corps  de  Troupes  confîdérables, depuis  
 le Lac Baikal jufque vers la Pologne. Les Ruffes ont même fait  
 conftruire dans  la plupart de ces endroits, des Lignes  &  des  Forts1  
 qui font placés àpeu de diftance les uns des autres.  Ces précautions  
 font  néceffaires pour mettre cet Empire  à  l’abri des incurfîons  des  
 Tartares, &  tenir dans l’obéiffance ceux que la Ruflie  a  fubjugués.  
 La plupart de ces Tartares font vagabonds &  vivent de pillage.  Us  
 ont inquiété de tout temps les Ruffes dans  cette partie de leur Empire. 
  Malgré les Lignes & lès Forts , ils pénètrent aifément en Ru£-  
 fie ,  lorfqu’ils font en force :  ils  pillent  les Villages  pendant qu’on  
 raffemble les Troupes les plus  à portée,  &  ils  s’en retournent avec 
 (1)  Il ma été confirmé par  les’ RuiTes qui me fervoient d’interprétes. 
 (z)  Il me  donna un Mémoire àce.fujet,  qu’il avoit  fait  écrire en- latin 3 afin que ;©•  
 puiïe  le comprendre.