cantrement concouroit encore à la rendre plus hideufe. O n Voyoit
tout auprès fur un banc, une jeune femme, plus occupée de fatis-
faire fa curiofité que de rajufter fa chemife, qui formoit tout fon
vêtement. Le défordre qui y régnoit, & fon attitude, laiffoient à
découvert les beautés de cet âge, & fa peau, de la plus grande blancheur
, recevoir encore un nouvel éclat de la vieille placée a lès
côtés. Elle avoit près de fon banc de petits enfants couchés par terre,
ainfi que de jeunes veaux dans une étable : le refte de la famille étoit
couché pêle-mêle fur le poêle, Si fur une efpece de foupente ; les uns
dormoient, Si les autres paroiffoient aufli étonnés de me voir dans
leur chaumière, que je 1 ptois de leur fituation Si de leur ligure.
L ’enfant qui étoit dans le panier n’avoit pas un mois : il dormoit
au milieu d'un tas de paille couvert d’un linge, étant nouveau né.
Hors çe temps, les enfants font communément nuds en Sibérie,
ainfx que dans toute la Ruifie : ils jouent dans leur panier des pieds
Si des mains fans être emmaillotés, Ç e panier eft fufpendu à une
longue perche élaftique , qu’on peut faire mouvoir facilement
avec le pied, pour les bercer. Les femmes chargées de ce fo in ,
s’occupent en même-temps a filer du chanvre. O n nourrit les
enfants de lait d’animaux, par le moyen d’un cornet, au bout
duquel on adapte une tetine de Vache : les meres leur donnent
cependant quelquefois a teter. Ces enfants , quoique très foi-
Hes, jouiffent de la liberté de fe rouler à terre. Ils s’y culbutent, Si
font'des efforts pour marcher, O n les laiffe fe débattre, quoiqu’ils
foient le plus fouvent nuds, ou qu'ils n’ayent qu’une chemife pour
tout vêtement. IJs marchent enfin au bout de quelques mois, tandis
qu’en France ils pourraient à peine fe foutenir. Bien-tôt ils courenp
par-tout, & vont jouer fur Ja neige. On n’y çonnoît point le corps,
iji cette multitude de vêtements Si de ligatures gênantes, dont on
s’empreffe ici de garoter les enfants. Non-feulement ils nuifent au développement
des mufclçs, mais ils font encore la principale caufe
E N S I B "É R I E.
de ce qu’il y a tant d’hommes contrefaits dans les autres Nations
d’Europe, tandis qu’ils font très rares en Ruffie. C ’eft ainfi qu’on y
forme des hommes fujets naturellement à moins d’infirmités. Ils
vivraient plus long-temps que par-tout ailleurs, fans leurs excès Si
leurs débauches. L e Peuple y eft fi robufte , qu’ayant engagé à T o bolsk
les Soldats de ma garde à coucher dans mon Obfervatoire
pendant que j’obfervois, ils préféraient d’allerpafferla nuit fur l’herbe,
Si fe levoient le matin avec des habits prefque aufli mouillés par
la rofée, que s’ils avoient couché dans l’eau. Ils y dormoient du
plus profond fommeil, Si n’en reffentoient jamais aucune incommodité.
Toute leur vie & leurs exercices tiennent à cette force de
tempérament qui leur fait fupporter pendant la guerre les plus
grandes fatigues, fans que leur fanté en foit altérée.
Le phyfique a fur le moral une influence confidérable : les grandes
pallions forment fpuvent les grands Hommes ; elles fuppofent pref-,
que toujours des tempéraments vigoureux. Quels avantages ne
produiroit pas une éducation femblable à celle de Ruflie, dans
une Nation où la forme du Gouvernement & l’éducation morale
tendent également à diriger l’homme vers l’honneur, la gloire & le
courage ? Elle feroit fans doute d’autant plus avantageufe, que le.
luxé Si la molleflè concourent avec l’éducation phyfique, à détruire
tous les principes de cette éducation morale.
Il faut convenir cependant que les préjugés de l’éducation phyfique
ne font pas fi confidfrables à Paris, qu’ils l’étoient il y a peu de
temps. Quelques perfonnes commencent à ne pas emmailloter les
çnfants : d’autres les élevent même prefque nuds.
Parmi le nombre des préjugés de l’éducation de notre enfance
celui de nous accoutumer à ne faire ufage que du bras droit, peut
être regardé comme un des plus grands abus, A peine les foibles
Tome I , I