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 pieds de hauteur ;  ils  fe  retirent  dans  leurs Priions  dans le mauvais  
 temps,  & ils fe promènent dans  l’enceinte, quand le temps le permet. 
  Ils font  tous enchaînés par les pieds ;  leur dépenfe  eft très modique  
 , n’ayant communément que du pain & de l'eau, ou, fuivant  
 les  endroits,  quelqu’autre aliment  qui leur  tient lieu de pain. Un  
 certain nombre de  Soldats fontdeftinés  à  les garder, &   à  les  conduire  
 aux Mines ou aux autres travaux publics  : ils y font traités très  
 durement.  Ce châtiment n’eft pas proportionné dans bien des cas à  
 certains  crimes : il ne  fait pas fur le Peuple Ruffe l’imprelïion qu’on  
 devroit  en  attendre,  parce que ce Peuple eft efclave.  Il n’en feroit  
 pas de même dans  une  Nation qui jouirait de la liberté, & qui feroit  
 policée.  C e   châtiment  continuel  feroit fouvent un  frein plus  
 puiffant  pour  lui  en impofer que celui de la mort.  Certains Scélérats  
 envifagent même ce moment  comme le terme de leurs peines, 
 &   c’eft à  cette iîtuation qu'il faut attribuer la fermeté que quelques,  
 uns  ont portée  fur l’échâfaud  ; mais je crois qu’il feroit  très dangereux  
 d’expofer ces Criminels,  comme en Ruflie  ,  à la .vue de toute  
 la Nation.  L ’habitude  de  voir des  malheureux détruit à  la  longue  
 la  fenfîbilité  ;  &  ce  fentiment eft fi précieux à  l'humanité, qu’on  
 ne  fauroit  prendre  trop  de  moyens pour  le conferver aux Peuples  
 qui  en  jouilfent,  8e le  faire naître dans ceux qui ne le connoiffent  
 point.  Je  fuis  convaincu  que le tableau odieux de la multitude des  
 malheureux enchaînés qu’on rencontre dans la  plupart des Villes de  
 la Ruflie, n’a  pas  peu contribué à faire çontraéter aux Rulfes la dureté  
 de caraétere que j’ai obfervée ‘dans cette Nation. 
 L ’exil  n’eft  pas  le  même  par rapport à tous ceux qui font con-  f   
 damnés à ce châtiment; les uns font enfermés, & les autres jouiffent  
 d’une  certaine  liberté.  Le Comte  de  Leftoe ,  après avoir placé h   
 Couronne  fur  la  tête  de  l’Impératrice Elifabeth,  fut exilé avec  là  
 femme ;  Leftoe fut  arrêté  le premier  ,  &  enferme dans  Je Fort de 
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 E N   S  I  B  É  R  í  Í ,  ¿3T 
 Saint-Pétersbourg.  Sa  femme  étoit née  en Livonie  d’une  Famille  
 des plus diftinguées t elle étoit Fille d’Honneur de l’Impératrice avant  
 dépoulèr  M.  de  Leftoe  :  elle  avoit  confervé,  quoiqu’à  la Cour,  
 la  noble fierté  qu’infpire la  liberté dont jouit la Province de Livonie  
 ,  conquife  par  Pierre  Ier : M me de Leftoe  étant  arrêtée  ôta  lea  
 diamants  dont  elle  étoit parée, ainfi que fa montre,  & fes  autres  
 bijoux  :  elle  les  jetta  aux  pieds  de  ceux qui  1 arrêtoient, &  leur  
 dit  de  la  conduire où ils  avoient ordre  de  la mener  : elle  fut  enfermée  
 dans  le  même  Fort  que  fon  mari, mais dans un appartement  
 féparé  :  tous  leurs  effets  furent mis fous  lefcellé ,  en attendant  
 le  Jugement  de  la  Chancellerie  fecrete. Livrés à  ce Tribunal  
 odieux, dont les Juges  étoient  les  ennemis déclarés du Comte  
 de Leftoe, principalement M. de Beftuchef, premier Miniftre  (1 ) ,  
 ces  illuftres  Prifonniers  n’ignoroient pas que  leur perte étoit affu-  
 ree ;  aufli  chercherenr-ils  peu à fë défendre. Leftoe  avoir reçu une  
 fomme  d’argent  d’une  Puiflànce  Etrangère alliée de la Ruflie ,  8c  
 l’Impératrice  Elifabeth  devoit  la  Couronne à cette Puiflànce.  Ce  
 préfent étoit le grand crime du Comte de Leftoe ; il avoua dans fon  
 interrogatoire qu’il l’avoit reçu ; mais fes Juges lui ayant demandé la  
 valeur  de  cette  fomme : Je m m’en fouvienspas, leur dit-il,  vous  
 pourre^ lé/avoir ,J î vous le défire£, par CImpératrice Elifabeth ;  8c  
 en  effet,  il  avoit  inftruit  cette  Souveraine  qu’on  lui offroit cette-  
 fomme  à  caufe  des  bontés dont elle  l’honoroic : elle  lui  avoit permis  
 de l’accepter. 
 M 01«  de Leftoe  aufli convaincue du jugement  qui  feroit  rendu  
 que de fon innocence 8c de celle de fon mari, demanda  à  fes Juges 
 (i) j a i  lu  dans des Notes manuferites fur la RulHe, que  l’Impératrice Élifabeth avoit  
 aboli en 17.41  la Chancellerie  fecrete  lors de fon  avènement au Trône , & qu’elle avoit  
 renvoyé au Sénat toutes les aftaires qu’on  y  jugeoit p mais il ne paroît pas que cette-Or1-  
 donnance ait jamais été exécutée. M. le Comte de Leftoe & fes> femblables n’ont jamais*  
 «té jugés par le Sénat, ni par aucun College de Juftice,