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 J'arrivai à Tumen le 31  ( 1 ), c’eft une petite Ville dont une partie  
 eft fur une montagne qui borde  la  riviere vers  le Midi.  La position  
 eneftauifi agréable  que  celle de Tobolsk  ,  elle  eft  très  peu  
 peuplée. J’y  reçus les  plus  grandes  honnêtetés  de  M.  Ivan  Afa-  
 nanfçoifk, qui en étoit Vaiwod ;  il me fit préfent de  thé &  de fu-  
 cre  ;  plufieurs autres habitants eurent la  bonté  de  me  venir voir,  
 &  me firent de même quelques  préfents ;  mais  ils  mirent l’allarme  
 dans ma petite  caravane ,  en  lui  apprenant  qu’on,  avoir  arrêté  la  
 veille quatre  brigands à trois lieues de cette Ville 3  ils  nous confirmèrent  
 , qu’ils étoient par bandes  fur cette route , qu’ils attaquoient  
 &  pilloient non-feulement les Voyageurs,  mais les  petits Villages î  
 la plupart de  ces brigands avoient déferté des troupes de recrues, ou  
 «’étoient échappés des mines  d’Ekatérinbourg,  Cette nouvelle me  
 rendit plus circonfpect, je vifitai toutes les armes ,  &  je fis de nouvelles  
 provifions  d’eau-de-vie  pour  entretenir le  courage  de  ma  
 troupe ;  j’en diftribuois  quelquefois  moi-même aux Poftiüons  &ç  
 à ceux  qui  m’accompagnoient.  Ma  fanté  étant  parfaitement  re ■  
 mife  , tout fe palfoit dans la gaieté  ,  &  je me  fuis trouvé dans des  
 moments  ou  tout le monde étoit aifez  indifférent  fur  les  événements. 
   J’avois huit perfonnes bien  armées  &   la  fpingole  chargée  
 à mitrailles, étoit  placée fur le devant de ma voiture 3 ne craignant  
 que  la furprife,  je fis diftribuer fur  chaque  voifure  des flambeaux  
 (z)  qu’on allumoit pendant la nuit. 
 J’arrivai le premier de Septembre à trois  heures du matin  fur  le  
 bord de la riviere Pifztna, vis-à-vis le Hameau Kila,  Cette riviere a  
 quarante  toifes de largeur  ,  je me  difpofai  à la  paffer fur un train  
 de bois qui fervoit de pont (3).  Il étoit fi mauvais  que  les premiers 
 (1)  Carte du Tome  I. N°.IX. 
 {1) J’en avois fait faire  à  Tobolsk. 
 (3)  La  plupart des  Ponts  font en Sibériç des  trains dç bois  fixés %  le tirage par lçf  
 £ïtrémité& 
 chevaux de  la grande  voiture  furent à peine fur le pont ,  qu’ils  enfoncèrent  
 jufqu’au  poitrail 3  plufieurs  cordes pourries  à  moitié  fe  
 cafferent, je fis couper promptement les traits,  &  je vis le moment  
 ou le pont  délabré  alloit  être emporté par le courant  avec les  chevaux  
 ; nous les retirâmes  cependant  après bien  des  difficultés.  Un  
 des foldats paffa la  riviere à la nage  ,  & Jut au Hameau Kila ,  fitué  
 fur  l’autre bord pour y chercher du feecfurs.  C e  Hameau  compofé  
 de cinq  à fix maifons  avoir été attaqué  le ¿9 Août par  une  bande  
 des  brigands  dont  fa i  parlé  ;  trois  Payfans  perdirent la  vie  dans  
 cet evenement, mais  ils  obligèrent cesallaffins de fe retirer après  en  
 avoir tue  deux.  Le foldât ne  put  amener que deux Payfans 3 nous  
 nous livrâmes tous au travail,  &  vers les fepç heures du marin je fis  
 paffer les voitures,  de  façon  cependant  qu’il, n’y  en  avoir qu’une  
 a la fois fur le pont. 
 J’arrivai  à  onze  heures  du  foir à Kuiarowskaia  ;  mes  voitures  
 etoient fi délabrées que je m’y arrêtai pour les faire  raccommoder 5  
 jen ’y trouvai perfonneen  état de les rétablir ; je fus obligé d’envoyer  
 un foldat à un Village  voifinpour en  amener un  Charon  ;  aucun  
 Payfan n’avoit  voulu  y aller, à  caufe de la  terreur que les brigands  
 avoient répandue dans  ce canton ; la tradition &  la peur  en  avoienc  
 groffi le nombre, &  en avoient fait des combattants de la plus grande  
 bravoure. Je paffai le reliant de la nuit à  faire  raccommoder fous  
 mes  yeux les voitures, & je partis à fix heuresdu marin. 
 A  mefure que j approchois de la chaîne , le terrein étoit plus cultivé  
 , on ne trouvoit prefque plus de marais à Wolkava. La terre étoit  
 noire, ainfî que fur toute la route depuis Tobolsk, mais elleétoitplus  
 ferme.  Les environs de ce Hameau promettoient une récolte abondante  
 en ble,  orge &  avoine ; mais on Craignoit que le  froid ne fiât  
 un  obftacle â la maturité de  ces  grains.  J’étois alors par cinquante-  
 fix degrés cinquante minutes de latitude, & éloigné de Tobolsk de  
 cent vingt-cinq lieues environ. Toute cette plaine necoitpour ainfî