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 avoit établi fur deux  batteaux  un  pont  que  l’on  conduifoit à la rame. 
   Cette Riviere eft moins  large que  la Kama, mais  elle  eft  plus  
 rapide, & fî dangereufe que le Batelier ne voulut  pas nous  paffer à  
 caufe du vent &   des rochers  qui s’y  trouvent.  Je me  déterminai à  
 refter  toute la  nuit  fur fes  bords :  on alluma  un  grand  feu ;  je  fis  
 conftruire une efpece de tente  avec des  branches d’arbres ; &  après  
 avoir  foupé, je me couchai fur une peau  d’ours.,  Je m’éveillai  vers  
 minuit tout  gelé & tout  couvert  de neige :  je ne favois dans le pre?  
 mier moment fi je  révois ;  cependant  la neige continua de tomber  
 toute la nuit ; la terre  en étoit couverte le matin de plus d’un démit,  
 pied.  Je paflài  la  riviere fur ce  pont  ambulant  en  douze minutes.  
 La quantité de neige qui  étoit tombée , avoit  rendu les  chemins  fi  
 mauvais , que j’éprouvai les  plus grandes difficultés  pour arriver au  
 Hameau Scynd, quoique  tout  le  monde,  eût  fait à  pied  ce  court  
 trajet,  afin de  foulager  les chevaux.  J’étois fort  embarraifé  fur  les  
 moyens de  continuer ma  route  :  je paflài une partie de là  matinée  
 flottant  dans  l’incertitude  , fi j’abandonnerois  mes  voitures  pour  
 prendre des  traîneaux , ou fi je courrais les  rifques  de voyager  avee  
 mes  voitures  à roues.  C e  dernier  parti etoit très  dangereux;  mais  
 on m’affura  d’un  autre  côté que  je~ ne trouverais pas  de  neige  en  
 approchant de C azan (i),  &   que  je  ferais obligé  par  conféquent  
 d’abandonner les  traîneaux. 
 Je partis  avec mes voitures à roues , quoiqu’il neigeât beaucoup  ;  
 on doubla le nombre des chevaux : j’enavois quarante-deux, je leur  
 fis donner de l’avoine en quantité ;  on diftribua de l’eau-de-vie aux  
 Poftillons, & par çes moyens j’arrivai  à Sicchi  le meme  jour à  dix  
 heures  du foir malgré les chemins affreux. Je traverfai dans ce trajet  
 plufieurs Villages  habités  par des Tartares ;  leurs  habits font  différents  
 à quelques égards  de ceux des Tartares de Sibérie :  ces Peuples 
 (i)  Quelques Auteurs écrtyeot Kazan. 
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 étùient  plus polis;  ils confervoient cependant leur fimplicité  &  M  
 purete  de leurs moeurs. 
 La  neige diminuoit  à mefure  que j’approchois  de Cazan  •  elle  
 avoit totalementdifparu à Wocogora. Une vafte prairie, oùl'herbe  
 avmt  repouffé, offrait la verdure du  Printemps ;  le  pays  devenoit  
 plus  riant  a chaque  inftant, &  le ciel  plus  ferein ;  les frimats  n’avaient  
 point  encore dépouillé les  arbres  de  leurs feuilles : je voyois  
 dans les environs  de Cazan des chênes  pour la première fois depuis  
 mon  fejour  en  Ruffie, & des  arbres  fruitiers  dans des efpeces  de  
 verger,  au  heu  des  terreins  glacés de  la Sibérie  &   des  déferts  de  '  
 lapins  qui n’étoientprefque habités que par des animaux la  plupart  
 inconnus  en  Europe.  Je  voyageois  fur  des coteaux  à  travers  des  
 o quets, j en recherchois  l'ombrage que je redoutois quelques jours  
 auparavant.  Des Villages opulents annonçaient la fertilité du Pays :  
 on y voyoït des jardins arrangés  avec  art,  que  des  fleurs  ornoient  
 encore. Tout fembloit  alors me rapprocher de ma Patrie ; agréable  
 iituatton, dont on ne peut fe faire une idée qu’après enavoir été privé  
 J arrivai a Cazan le premier Odobre. Un Prince Tartare en étoit  
 le Gouverneur,  j’en  reçus  l’accoeuil le  plus favorable :  il  avoit or-  
 onne  quon  me  préparât  un  logement;  mais  M.  Weroffchin  
 Kuffe  que  j’avois eu  l’honneur dç  voir à  Pétersbsurg ,  avoit eu  là  
 bonté de m en  faire préparer un chez  lui, & l’on m’y conduifit. 
 Je fus voir  le  Gouverneur le jour  fuivant ;  après quelques compliments  
 que  je  n’entendis  pas, nous  nous  afsîmes  autour d’une  
 table couverte  d un beau  tapis : on y  plaça quatre grandes  pipes &  
 un  vafe de porcelaine rempli de rabac de la Chine  :  je fumai quelques  
 inftants  On  fervit auffi-tôt des liqueurs du pays, des confitures, 
  avec des fruits &  un melon d’eau;  ce dernier fruit eft fidélicat&  
 fi agréable que je me bornai à ce mets.  Les melons  font  communs  
 a Cazan;  on en peut  manger avec excès fans  en  être  incommodé. 
 Je trouvai  ce  fruit fi fupétieur à tout ce que je  connoiffois dans  ce