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 cette riviere :  elle a environ deux fois la largeur de la Seine.  La mer  
 n’étant éloignée que de deux lieues de Riga ,  on  y   tranfporte  aifé-  
 ment  les marchandifes. Cette  Ville a autrefois  appartenu  aux Suédois  
 , qui  la  perdirent  du temps  du Czar Pierre Ier :  elle a confervé  
 tous  les  privilèges  qu’elle  demanda  lors  de  fa  capitulation avec  la  
 Ruifie. 11  y  a  peu  de Nobleife,  excepté  parmi  les  Etrangers, Les  
 Habitants  font prefque tous Commerçants, 
 Après  le  dîner nous  fûmes  pour  rendre vifite  au Gouverneur,  
 qui eft de  la famille des Dolgorouski ;  mais comme il étoit très âgé  
 &  malade,  il ne fut pas poifible  de le voir, 
 M.  de  Vittinhof,  Confeiller  de  la  Régence  de  Livonie,  &  
 Chevalier  de  l’Ordre  de  St. Alexandre Newski,  nous  combla  de  
 politelfes. Il avoit époufé la fille du fameux Général Muniek, quoiqu’exilé  
 en Sibérie, 
 Nos traîneaux furent finis  le 7   :  nous  partîmes  le même jour de  
 Riga à fix heures du  foir, A  peine  fumes-nous  éloignés de  la Villç  
 d’un demi mille, que nous ne trouvâmes  plus de neige  :  nous étions  
 alors dans une vafte plaine,  qu’il nous  étoit  impolfible  de traverfer  
 avec les traîneaux, La nuit étoit encore très obfcure,  & nous étions  
 éloignés de tout fecours. Nous tentâmes de remettre les voitures fur  
 les roues ; mais quoique nous  eulfions des flambeaux,  l’obfcurité de  
 Ja nuit & la pefanteur de nos bagages nous oppofeirent des obftacles  
 infurmontables.Noüs fîmes propofer aux Poftillons , par un InterT  
 prete que j’avois pris a Varfovie, d’aller chercher du fecours au plus  
 proche Village :  il s’éleva  auifi-tôt  une  difpute  des plus vives entre  
 les RuiTes &  l’Interprete. N ’entendant point la Langue,  il ne nous  
 étoit pas poifible de découvrir le fujet de la querelle;  & mon Interprète  
 étant  ivre, nous  ne pouvions ni lui faire  entendre  raifon, ni  
 l ’obliger à fe taire.  Nous étions  cependant toujours  au bivouac par 
 E  N  S   X  -B  û  R  1  E.  
 le froid le plus rigoureux,  fans beaucoup d’efpérance de fortiy fi-tôf  
 de  cette  fituation  : nous  comprîmes enfin  ,  après bien des peines ,  
 que les Poftillons ne  vouloient  pas aller  chercher  du  fecours,  fous  
 p r é t e x t e  que lanuitétoit trop obfcure.  Je m’approchai d’eux ,  &leur  
 montrai un rouble ( 1 ) :  ils partirent auifi-tôt, fans en pouvoir garder  
 Hn auprès  de nous ;  ils revinrent  très promptement  avec des Payfans. 
  On décida qu’ilfuifiroit de détacher les traîneaux, qui tenoient  
 lieu  des  roues de  devant, & qu’on les attacherait  derrière  les  voitures. 
  hious nous remîmes en route  vers  onze  heures du foir ;  mais  
 à peine  eûmes-nous fait quelques pas que  les cordes des autres traîneaux  
 fe caiTerent  :  les Payfans  ,  qui  ne  nous  avoient  pas quittés ,  
 nous firent entendre qu’il  ferait indifpenfable doter  les autres traîneaux  
 ,  & qu’ils  nous rendraient  ce  fervice, fi  nous leur voulions  
 donner encore un rouble : nous leur en avions déjà donné deux, &   
 un  aux  Poftillons ;  ce  qui  faifoit  vingt  livres  argent  de  France.  
 Quoique  peu  contents  de  nous  voir  vexés de  la  forte,  nous  leur  
 accordâmes tout ce  qu’ils demandèrent,  par  le défir  ou nous étions  
 de fortir promptement de cet endroit. Nous voyageâmes tranquillement  
 le refte de la nuit & une partie  de la journée du  8. La neigd  
 augmentoit cependant de plus en plus  : on ne voyoit même que des  
 traîneaux fur  la route ;  mais ce qui nous étoit arrivé nous avoit décidés  
 à n’en faire ufage que le plus  tard  que  nous pourrions. Nous  
 éprouvâmes  le  8  un ouragan des  plus violents  :  des  tourbillons  de  
 neige  s’élevoient  de toutes parts ; on diftinguoit à peine à quelques  
 toifes de diftance les objets les plus apparents ; le vent lançoit la neige  
 avec tant de violence que les chevaux s’arrêtoient à chaque  inftant,  
 fans qu’il fût poifible de les faire avancer.  Pour furcroît de malheur  
 un des Poftillons  culbuta dans un trou les chevaux &  la voiture des  
 équipages  :  nous  crûmes  que  tout  étoit  perdu ;  nous  defeendîmes  
 promptement de voiture , & après deux heures de  travail nous nous 
 (1)  Monnoie de RuiEe qui vaut cinq livres de France.