gion, foit qu’ils foient affez ftupides pour aimer jufqua leur efcla-
vage ,ioit qu’ils ne fâchent où aller, ignorant les Langues étrangères
, foit enfin qu’ils croient qu’on ne peut être heureux qu’au milieu
des neiges de Ruffie. Cent Soldats déferterent à la vérité dans
quelques jours du feul Régiment d’A z o w , en 1761 ; mais ces
événements font fi rares, qu’on doit regarder comme nulle la dé-
fertion des Soldats Ruifes lorfqu’ils font à l’armée. Cependant le
nombre des Ruifes qui périifoient par les armes dans la derniere
guerre, réuni à ceux qui mouraient de maladie,étoit fi grand, que
j’ai connu plufieurs Officiers de cette armée qui étoient convaincus
que l’armée Ruife fe renouvelloit, pour ainfi dire , chaque année.
La mortalité , qui a fa fource dans les maladies qu’éprouvent
les Soldats , paraît principalement fondée fur les raifons fui-
vantes. O n a vu à l’article des moeurs & du climat, que le tempérament
des Ruifes exige qu’ils prennent des bains de vapeurs deux
fois par femaine ( 1 ) , Les Officiers Généraux & quelques autres
Militaires font en état d’avoir les fecours néceifaires pour prendre
ces bains ; mais il eft impoffible qu’une armée puiffeen jouir : il
ferait même dangereux de les lui procurer fi on enavoit les moyens,
parce que l’armée ferait hors d’état de combattre deux fois par femaine.
O r les Soldats ne pouvant pas faire ufage à l’armée des bains
néceifaires à leur fanté , il eft tout fimple qu’ils ayënt beaucoup de
maladies, & qu’il en meure une grande quantité , parce que
leurs Hôpitaux font fi mal montés, qu’ils n’en méritent pas le nom.
Dans les Villes de Pétersbourg & de Mofcou, on manque de Médecins
& de Chirurgiens, à plus forte raifon à f armée.
Le Corps des Officiers eft peu inftruit dans l’art de la guerre :
cette fcience auffi vafte que compliquée, fuppofe une multitude
de connoiifances, dont elle eft le réfultat. La Ruffie poilède à peine
quelques petfonnes en état de les inftruire des connoiifances préliminaires
(1).
Les Ruffes n’ont prefque aucune idée de la Tadique ; ils ignorent
jufqu’au nom des Xénophons, des Hérodotes , des Polybes ,
ô ic ., & ils connoiffent moins les grands Généraux de ce fiecle"
par leurs travaux , que par la Renommée qui en a publié les victoires.
C ’eft cependant cet art de favois ranger une armée, & de la
faire manoeuvrer, qui décide le plus fouvent du fort des batailles
& des Empires. Toute la Tactique des Ruflès fe réduit à ranger
leur armée en croiifant , en quarré , en potence , quelquefois en
triangle, & ils profitent rarement dans ces circonftances des avantages
du terrein,parce que le plus fouvent ils ne les connoiffent
pas. Quoique la plupart de leurs troupes de campagne foient parfaitement
difciplinées, ils ne favent pas difpofer l’ordre d’une marche.
Us placent les équipages qui font immenfes, entre la première
& la fécondé ligne , quelquefois pêle-mêle. Une partie de l’armée
eft occupée à conduire les chariots ; la plupart des foldats y attachent
leurs armes ; il regne un fi grand défordre dans la marche
d une armée Ruffie, quelle reffemble à l’émigration d’un peuple.Les
Ruffes connoiilènt peu l’uiàge des détachements en avant, des e£<
pions ; leurs troupes irrégulières , formées pour veiller à la fureté deI
leur marche, pour fouiller les endroits fufpe&s, & aller à la découverte,
s occupent moins de ces différents objets, qu’à ravager & à piller les
lieux par où elles paffent (2) ; auffi le Maréchal Appraxin fut-il fur-
pris dans fa marche en i 7 j 7 . Le Général Fermer campé proche
Kuftrin en 1 7 7 6 , ne fut pas averti affez à temps de l’arrivée du Roi
(1) Voyez l'article du progrès des Sciences & des Arts en Ruffie.
(1) On m a allure cependant que fur la fin delà derniere guerre, le Général Totleben,
étranger en Ruffie, avoir difciplinc une partie des troupes irrégulières. J’ai donné une
idée de ces troupes, page 260»