la table des vafes de verre en forme de cylindres : ils ont fix pouces
de haut fur quatre pouces de large. Chaque convive qui eft à portée
d’un de ces vafes, le prend, & boit à même. U n convive commet-
troit une grande impoliteife, s’il prenoit un verre pour ne pas boire
dans le même vafe que fon voifin. Cet ufage eft non-feulement
dégoûtant, mais encore très dangereux, à caufe du fcorbut, très
commun en Ruffie.
A peine a-t-on mangé quelques minutes, quon boit à la fanté de
l ’Empereur. Cette fanté fe porte différemment : on place fur la
table, devant la perfonne la plus diftinguée, un grand bocal de
verre , qui a un couvercle de la même matière. Cette perfonne fe
leve, ainiî que fon voilin de la droite : elle donne à celui-ci le couvercle
, verfe du vin dans le vafe , & annonce qu’elle boit à la fanté
de l’Empereur, en faluant toute l’Affemblée. Après avoir bu elle remet
à fon voiiin le bocal, & celui-ci remet le couvercle à celui qui le
fuit. Toute l’Affemblée boit ainfî à la fanté.de l’Empereur, tandis
qu’une troupe de Mufiçiens chantent des Chanfons analogues à la
Cérémonie.
O n boit de même, & dans le même ordre, à la fanté des Princes
& des Princeffes de la Famille Royale, & l’on continue de
manger pendant quelque temps.
O n commence enfuite les fantés de tous les convives , avee un
autre bocal de verre : mais il n’eft point de la beauté du premier ; il
a pour couvercle une croûte de pain.
Cette cérémonie d’ailleurs fe pratique de même, à cela près, qu’en
remettant le couvercle à fon voifin, on lui dit le nom de Baptême
& de famille de celui à la fanté duquel on va boire, & oh doit le
répéter en le faluant ; ce qui devient affez embarraffant pour un
Etranger, parce que les Ruffes ont trois ou quatre noms de Baptême.
Cette cérémonie fe fait dans le plus grand férieux, & l’on doit
être très exact à tout ce détail, qui fe continue à la ronde. Maigre
nia bonne volonté, la cérémonie manquoit toujours à moi. J’ou-
bliois la multitude des Saints qu’on me nommoit, & dont la plupart
n’avoient jamais été dans la Lifte des nôtres. J’en étois cependant
très mortifié. J’avois d’ailleurs communément pour voilin un Ruife
très zélé obfervateur de la réglé : il avoit acquis le droit d’être le Lé*
giflateur de la police de la table, & il étoit de fort mauvaife humeur
lorfqu’on y manquoit. C e Ruffe avoit la bonté de fuppléer à mon
incapacité ; mais il fut auifi embarraffé que moi dans un inftant où
il m’arriva des deux côtés deux croûtes de pain, dont l’une avoit
fait, contre l’ordre , plulïeurs naufrages dans les alfietfes & dans le
bocal. Ne fachant à qui répondre , ni l’ufage de ces deux croûtes,
je lui remis toute l’affaire entre les mains , & je m’alfis. O n lui re-
préfenta que l’Affemblée étant compofée de foixante convives , on
avoit fait venir un fécond bocal, pour accélérer la cérémonie ; mais
il décida qu’il valoit mieux refter deux heures de plus à table, & ne
pas manquer aux ufages reçus.
Enfin on fe leva de table , & l'on paffa dans un autre appartement.
Je crus d’abord que le dîné étoit fini, & qu’il n’étoic plus
queftion que de prendre du caffé ; mais je fus bien étonné de
trouver une petite table couverte de confitures de la Chine. Quatre
grands drôles y attendoient la compagnie avec des bouteilles d’hydromel
, de bierre, & de différentes liqueurs faites avec de l’eau-de-
vie. D ’autres apportèrent des cabarets couverts de verres. On fe mit
a boire de nouveau ; la cérémonie eft pour lots bannie du Feftin.
Les Ruffes, quoiqu’accoutumés à ce genre de v ie , réfiftent rarement
à l’excès des liqueurs qu’ils boivent après le dîné : elles font
d’ailleurs très fpiritueufes , & l’on ne ceffè de boire jufqu’au foir. Si
l’on va fe promener dans la campagne, les bouteilles & les verres
fuivent par-tout la compagnie : c’eft ce qu’on appelle bien faire les
honneurs.
Quelques Voyageurs prétendent que les femmes fe livrent, ainfi