il fit connoître par fés cris & par les pleurs qu’il répan doit, qu’on au-
roit pu l’en difpenfer : mais malgré fes pleurs & fes cris, on le fit
communier ; on ne l’appaifa qu’en lui donnant à tetter.
Le jour de Pâques en Ruffie eft un jour confacré aux vifites, ainfi
qu’en France le premier jour de l’an. Ignorant les ufages du Pays ,
je me fis innocemment quelques tracafferies,
Occupé dans la matinée à des calculs d’Aftronomie, je ne m’ap-
perçus pas qu’un Rufle éroit dans ma chambre. N e voulant pas apparemment
me déranger, il s’étoit placé à mes côtés, mal-à-propos
pour lui & pour moi ; car m’étant levé avec vivacité, pour me promener
dans l’appartement, nos phyfionomies fe choquèrent fi rudement
, qu’il fit la culbute fur le plancher, & moi fur une malle.
Quoique je fuffe auffi étourdi de cet événement, que de voir dans
mon appartement ce Ruffë que je n’avois pas l’honneur de connoître
, je fus à lui pour lui demander exçufe de cet accident. Je lui
préfentai ma màin pour l’engager à s’alîeoir : il me tendit la fienne;
je trouvai un oeuf dans h mienne. Cet oeuf m’étonna, parce que
je n’étois pas encore remis du coup de tête que j’avois reçu, J’étois
d’ailleurs fort embarrafle pour répondre à tout ce qu’il me difoit ;
car il me parloir toujours, comme fi j’euffe entendu fa Langue. Je
iie ceflbis de mon côté de lui faire des révérences, & de lui témoigner
pair des lignes delà tête, des pieds & dés mains, combien j’étois
fenfible à toutes fes honnêtetés. Il s’en fut enfin , & me parut fort
mécontent, Je me difpofois à me remettre à mon travail, lorfqu’un
autre Ruffie entra dans ma chambre, O n décidoit aifément à fa
marche, qu’il n’étoit pas à jeûn : il vint à moi pour m’embraffer ?
comme il répandoit une odeur d’eau-de-vie très défagréable, je fis un
mouvement pour n’être pas embraffé fur la bouche : mais il ne fut
pas poffible de m’èn défendre. Ce Ruffie me donna auffi un oeuf :
mais j’étois déjà allez au fait pour lui faire préfent à moii tour, de
celui que j’avois déjà reçu. Il me quitta cependant encore mécontent.
Quant à moi, j’étois fi peu fatisfait de ces deux vifites, que dans la
crainte d’une troiiieme, je fermai au plus vite la porte de ma chambre
: j’y mis deux clous, l’un en haut, & l’autre en bas, n’ayant point
de verrou.
J’appris quelques heures après, que ce jour étoit confacré à faite
des vifites, ainfi que je l’ai déjà dit. Les hommes vont dans la matinée
les uns chez les autres : ils s’annoncent dans une maifon en difant, / . C.
eft rejjufcité, & on leur répond : O u i, i l eft rejjufcité. On s’embraffe
alors ; on fe donne mutuellement des oeufs , Si l’on boit beaucoup
d’eau-de-vie. J’avois manqué à tous Ces ufages : je reconnus la raifon
du mécontentement des deux RulTes que j’avois vus dans la matinée.
J’en fus d autant plus fâché, qu’ayant fait les frais de la cérémonie,
il m’auroit été aifé de les contenter, par le moyen de quelques
verres d’eau de-vie. J’avois d’ailleurs la plus grande attention de me
conformer aux ufages reçus dans le Pays. Sans cette conduite on fe
fait des ennemis, & Ton s’aliène tout le monde.
L ’après-midi eft confacré à voir les femmes , Si elles vont auffi
faire des vifites. Les hommes fe réunifient communément avec elles
pour ces vifites : elles en goûtent le plaifir avec vivacité, parce quelles
jouiffent rarement de cette liberté 3 Si les hommes ont celui de boire
toute la journée. L ’appartement dans lequel on reçoit les vifites eft
paré de tout ce qu’on a de plus beau. Une efpece de buffet en forme
d’Autel, s’élève dans le fond de l’appartement : toutes les richeffes
de la famille, affiettes, plats , couverts , bouteilles, verres, chandeliers
, Sic., y font diftribués fur plufieurs gradins-, & placés dans
le plus grand ordre. On voit au milieu de la chambre une table
couverte d’un tapis : elle eft garnie de confitures de la C h in e , Si
d une efpece de framboife du Pays, qu’on a fait fécher au foleil. En
entrant dans l’appartement, tout le monde fe place debout, le long