Je m etois décidé à fuivre cette nouvelle route, parce quel!«'
m’offroit les moyens de connoître les mines d’Ekaterinbourg, & les-
différents Peuples qui habitent les limites méridionales de la Sibérie,
Ces objets me parurent fi intéreffants, que je rejettai tous les avis
qui tendo'ient à faire changer le plan de mon voyage.
L e Gouverneur m’offrit, avec toute l’honnêteté pofïible, une ef-
corte de quatre Soldats pour m’accompagner j ufqu a S. Pétersbourg,
Je la refufai d’abord , dans la perfuafion où j’étois que les embarras
de mon voyage augmenteroient à mefure que ma fuite deviendrait
plus nombreufe ; mais l’abattement de tous ceux qui m’accompa-
gnoient, me détermina à profiter des bontés de M. de Soimanof.
J ’acceptai l’efcorte ; elle étoit cornpofée d’un Sergent & de trois
Grenadiers bien armés : je me procurai des munitions & des armes
pour tous ceux qui étoient du voyage. On me donna en outre
une fjpingole. JJavois fait conftruire un grand charriot pour y placer
tous mes inftrumeHts, mes autres équipages, les provifîons de
bouche & de ménage. J’avois encore deux voitures connues fous;
le nom de dormeufes : les Soldats furent diftribués fur les différentes-
Voitures. J’en avois un fur la mienne avec la Spingole. Cet arrangement
& l’appareil militaire qui y régnoit, remirent le calme dans
les efprits. Je partis le i8 Aoû t, à la grande fatisfaction du Peuple
de Tobolsk. Il étoit dans l’opinion que la riviere d’Irtizs ne rentre-
roit dans fou lit qu’après mon départ. Je ne pus me féparer de Mgr
l’Archevêque , de MM. de Soimanof & Pouskin , fans éprouver
les regrets les plus vifs.
Quoique vers la fin d’A o û t, le temps de la récolte paroiflbit encore
éloigné , les grandes chaleurs étoient paffées , les infeétes, fi
incommodes dans cette contrée, avoient difparu , tbut annonçoit
eue faifon favorable pouf voyager ; ma maladie fé difïîpa dans les-
premiers jours de la route ; je ne la trouvai cependant pas fi agréable
que je l’avois d’abord imaginé ; les pluies continuelles- qui avoient
lüccédé à la fonte des neiges, m’oppofoient de grands obftaçles
pour traverfer l’étendue de pays comprife entre Tobolsk & les montagnes.
Ceterrein marécageux fur unediftancede près de cent lieues,
rendoit les chemins fi mauvais, que j’étois obligé d’envoyer un Soldat
en avant pour remplir de fafcines les endroits impraticables. Je
connus bientôt le défagrément de voyager en Eté dans ces contrées,
fur-tout avec de grandes voitures. Celles dont les Naturels font
ufàge, font très petites & très légères (1). Ma grande voiture étant
chargée de tous les équipages & des provifîons de bouche, étoit fi
pefante, qu’elle s’enfonçoit aifément dans la bourbe, & on l’en retirait
difficilement, quoiqu’on y eût attelé douze chevaux.
Je traverfai du i8 au 50 Août une partie de la plaine comprife
entre Tobolsk & les montagnes ( Poyas Zemnoi ). On trouvoic
par-tout une fi grande quantité de canards, que fans me détourner
du chemin , j’en tuois affez pour me nourrir & tout l’équipage : ç é-
toit un grand foulagement pour notre petite caravanne, parce que
je n’avois, pour ainfi dire, que des viandes falées. Dans ces voyages
on fait des provifîons de poulets, d’oies & de canards domeftiques
qu’on enferme dans des cafés. Mgr l’Archevêque , M. de Soimanof
& M. de Pouskin m’avoient procuré quantité de ces animaux ; je
les avois placés fur les voitures, mais impatienté par l’embarras
quelles occafionnoient,j’en fis tuer une partie quelques heures après
mon départ, & je lâchai les autres dans les champs.
Quoique les chemins fuffent mauvais, les premiers jours de mon
voyagé furent affez agréables ; la faifon étoit belle , je trouvai des
Villages où je pouvois prendre mes repas ; je faifois quelquefois la
halte fur le bord des rivieres ; je n’éprouvai fouvent que le défagrément
de n’avoir que du pain du pays, auquel je n’avois jamais pu
m’accoutumer.
(1) On les nomme KuibicsV