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 au  niveau  de  ce  fleuve,  offre  également  une  plaine  au-delà  drf  
 Volga  :  elle  eft bornée par la feule étendue de  la vtxe. 
 Ce flëuve eft d’autant plus beau à Niznowogorod, que la riviere  
 d’Oka  a  fon  embouchure  dans  cet  endroit  :  la  profondeur  du  
 V  olga eft de trente, pieds,  & fa  largeur de cent  cinquante  toifes ,  
 avant la jonction avec la riviere d’Oka :  la largeur de celle-ci eft au  
 moins  de  foixante toifes.  Ces  deux  rivieres  offrent en écé le coup  
 d oeuil le plus agréable, par l’étendue de cette nappe d’eau. Le Gouvernement  
 eft entouré de murs en pierre :  ils forment une efpece de  
 fortification , mais foible ; la V ille a quatre cents  toifes environ  de  
 longueur,  y  compris les Fauxbourgs :  elle eft dans le deuxième rang  
 en Ruflie, par fon étendue, &  à jufte titre dans le premier, par  fon  
 commerce  ,  parce qu’elle eft l’entrepôt de tous  les  grains des environs  
 ;  ce qui la rend  très commerçante.  O n  y voit chaque jour en,  
 ete,  fept a huit  cents  nouveaux vifages,  pendant  quatre mois de  
 l’annee  : cependant les Habitants n’y font pas riches,  parce que la  
 plus grande partie  du  commerce s’y fait pour  le compte du fouve-  
 rain Defpote ,  dont tous les Employés  font  de  petits  Tyrans;  le  
 furplus  de  ce  commerce appartient  aux différents Seigneurs qui y  
 font apporter leurs grains,  de  façon que l’Habitant de la Ville n’eft  
 pour rien dans ce  commerce. On y voit quelques Marchands Merciers  
 : mais on  trouve à peine chez eux quelques mauvaifes étoffes ;  
 leurs boutiques  font fituées dans le Marché,  fur le bord du Volga.  
 Je  trouvai  dans  ce Marché  une populace confidérable : les provi-  
 lîons  qu on y  vendoit  confiftoient  en  poiffons gelés de différentes  
 efpeces ;  on les prend au  commencement de l’hiver, &  on les con-  
 ferve par le moyen du froid , jufqu a la fin de cette  faifon,  ainfi que  
 la  viande  de  bouderie  Si  le gibier :  on  en fait fouvent des provi-  
 lxons pour quatre  ou cinq mois. 
 La Ville  eft  aufli  défagréable par  la  façon  dont  elle  eft  bâtie,'  
 qu’agréable  par  fa  lîtuation  :  les  maifons  font  prefque  toutes  en 
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 bois ;  il  n’y en a que  quelques-unes en brique.  O n   compte  trente  
 Paroiffes  dans  cette Ville ,  &  cinq  ou fix Couvents  : mais  chaque  
 Paroiflè  n’a  que  deux  ou  trois  Prêtres ,  nombre  plus que fuiSfant  
 pour celui des  Paroifllens qui  en  dépendent. C ’eft  un  ufage parmi  
 les  Ruffes  d’avoir  une  multitude  de  Paroiffes  dans  leurs Villes  ,  
 quoiqu’elles  foient  très  peu  peuplées :  cette  quantité  de  Paroiffes  
 multiplie  confidérablement les Gens d’Eglife. 
 O n  marie les garçons, ainfi  que  dans tous  les  environs,  à quatorze  
 ou quinze ans, &  les filles à treize  :  les femmes y font fouvent  
 fécondes  jufqu a  cinquante,  On  conclura  fans  doute  que  ce Pays  
 doit être très peuplé  :  on verra cependant le contraire par la fuite,  
 qu’il eft néceflàire d’y marier  les filles de  bonne  heure, pour éviter  
 le défordre. 
 Mes traîneaux ayant été raccommodés le  1 1   au foir, je  partis de  
 cette Ville le même jour à huit heures :  l’accident qui m’étoit arrivé  
 auprès  de Niznowogorod,  où  un  de mes  traîneaux avoit manqué  
 de périr,  quoique  pendant  le  jour , m’avoit d’abord  déterminé de  
 renoncer à voyager fur  les  rivieres pendant la nuit. On ne voit pas  
 alors les trous : nous pouvions tous être  engloutis , fans que la perte  
 des uns  pût même  indiquer  aux  autres la  préfence du danger; les  
 Poftillons m’affurerent  cependant  qu’ils  connoiffoient  les  endroits  
 dangereux, & que nous racourcirions beaucoup en fuivant ce fleuve.  
 Je me confiai à leur expérience  :  j’arrivai  le  z z  à Kuzmodemiansk  
 à fept  heures du foir ,  après avoir fait quarante-trois lieues  :  la fur-  
 fàce du Volga  étoit aufli  unie qu’une  glace ;  on  n’y voyoit  pas  la  
 plus petite  inégalité  ;   la  neige  qui  étoit  tombée  avoit été enlevée  
 aufli-tôt par les vents, &  les traîneaux alloient avec une vîtefle dont  
 on  ne  peut fe former aucune idée.  Je  fortois  quelquefois  de mon  
 traîneau,  & me plaçois  derrière,  pour jouir du plaifir de  voyager  
 avec cette promptitude ; plaifir d’autant plus grand que les bords du  
 Volga  étant  très  peuplés  fur  cette route,  ce  fleuve  étoit  couvert