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traîneaux. Dans une de ces circonftances, en paffant avec trop de
vîteffe auprès d’un traîneau ainfirenverfé,l impériale du mientpuçha
au brancard de ce traîneau , & fut emporte avec tant de force qu il
m’en auroit coûté la vie, fi j en avois été frappé- Cette fecouiTe acheva
de mettre mon traîneau dans le plus mauvais état; je me trouvai à découvert
, & expofé aux plus grandes injures de l’air. Etant peu éloigné
de Solikamskaïa, où je prévoyois que je ferois obligé de prendre
de nouveaux traîneaux, je ne jugeai pas à propos de m’arretera
Jouflinewskoe pour faire raccommoder le mien : les autres étoient
suffi très délabrés. Je continuai la route : mais mon traîneau ne fe
renverfoit plus impunément : toutes les fois j’étois jette au milieu de
la neige , à plufieurs pieds de diftance. J’arrivai enfin a Solikamskaïa
le 1 9 , à huit heures du foir, après avoir fait cent quatre-vingt verfts
dans ce malheureux état. J’étois d’autant plus fatigue , que notant
entré dans aucun poêle depuis le 18 du meme mois, je n avois fait
ufage d’aucune nourriture qui ne fut gelée , excepté a Chlinow.
Arrivé à Solikamskaïa, je fus au Comptoir fie M. Dimidof; il
m’avoit donné une lettre pour fes Gens d Affaires, & les avoit pre-
1 venus de mon paffage. J’appris qu ils demeuroient a un quart dp
lieue de l’endroit on voulut m’y conduire ; mais j’étois fi accablé,
qu’il ne me fût pas poffible d’aller plus loin. Je fis apporter au plus
yîte mon matelas, & me couchai; je pris peu de repos; j’éprouvois
les douleurs les plus vives dans tous mes membres ; j’avois encore un
rhume qui m’ôtoit la faculté de parler. A peine fut-il jour qu’on
: m’annonça que l’Homme d’Affaires de M. Dimidof m’avoit envoyé
plufieurs traîneaux pour moi & ceux qui m’accompagnoienr,
pc des chevaux pour conduire mes bagages.
Je me levai, & partis immédiatement : je ffis reçus par M?1' ** ( 1),
qui me fit dire par mon Interprète , qu’elle avoit reçu des ordres de
& ) Je n’ai point .trouvé ion nom dans mon Journal.
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fon Maître pour que je fuffe traité comme s’il y étoit ; que je ne pou-
vois lui faire de plus grand plaiiîr que de difpofer de tout ce qui *
étoit dans la maifon , avec la même liberté que fi j’en étois le pof-
fellèur. Après lui en avoir témoigné ma reconnoiffance, je fis décharger
mes traîneaux, & j’envoyai quérir des gens pour les réparer.
Il fallut les abandonner , excepté celui des équipages , qui étoit
fufceptible d’être raccommodé. O n m’apprit en même-temps que je
ne pourrais être en état de partir que dans trois jours. Le thermomètre
étant à dix à onze degrés au deffous de o , Sc le Pays toujours
couvert de neige, rien n’indiquoit l’apparence du dégel. Je rn arrêtai
dans cet endroit, fans aucune inquiétude : je n’étois d’ailleurs éloigné
de Tobolsk , lieu de ma deftination, que de cent cinquante
lieues environ.
La maifon de M. Dimidof eft fituée fur une petite montagne
qui borde le rivage oriental de la Kama .: il-a réuni à cette fituatîon
heureufe tous les agréments quil a pu fe procurer par le foeours
de l’art, foit dans,fon bâtiment, qui eft en bois , foit dans un
jardin des plus vaftes. La rigueur des hivers étant un obftacle
à l’entretien de ce jardin , il y a établi douze ferres très belles : elles
étoient remplies de citronniers &. d'orangers ; on y tiouvoit tous les
autres fruits de France, d’Italie, & quantité de plantes & d’arbuftes
de différents Pays. Ces ferres étoient les feules que j’euffe trouvées en
route depuis Mofcou ; mais elles font communes dans cette derniere
V ille , dans Pétersbourg, & leurs environs. Sans ces ferres, on ne
jouirait dans ces Villes d’aucune efpece de légumes la plus grande
partie de l’année, à caufe de la durée de l’hiver.
M. Dimidof avoit encore établi dans fa maifon une Apotieaire-
rie très bien fournie, & dans le plus bel ordre : un homme fort entendu
étoit chargé de la diriger , & de diftribuer des remedes à tous
les malades du lieu.
Son Jardinier étoit Ruffe, & avoit des connoiffances fur laPhy-
Tome I, G