couflès fi violentes, qu’on court les plus grands dangers de fe fra-
caffer la tête contre les parois du traîneau, li l’on ne refte point
couché. Malgré cette précaution on eft baloté li confidérablement,
que les Voyageurs préfèrent d’être plulieurs enfemble : les fecouffes
deviennent alors moins dangereufes.
J’arrivai à Mofcou le 14 au foir, mes traîneaux tous brifés, par
les fecouffes perpétuelles qu’ils avoient éprouvées : ils étoient en li
mauvais état, qu’il ne fut pas poilible de les faire raccommoder.
M . le Chancelier de Woronzof m’adreffa à Mofcou à M. fon frere :
je reçus de lui les plus grandes marques d’amitié, ainfi que de Madame
la Comteffe fon époufe ; ils jouiffent dans cette Ville de la
plus grande confidération : ce refpeét qu’on a pour leur vertu eft
plus flatteur que celui qui eft attaché au rang qu’ils y occupent,
M rs de Woronzof font les peres des Etrangers la fincérité & lamé-
nité , plus rares en Ruifie que par-tout ailleurs, font chez eux des
qualités qu’on reçonnoît dès le premier moment qu’on a l'honneur
de les voir,
M. de Woronzof me confirma que le dégel feroic décidé avant
mon arrivée à Tobolsk , ainfi qu’on me l’avoit prédit à Saint-,
Pétersbourg : il m’auroit alors été impoffible d’arriver dans cette
V ille , & de remplir l’objet de ma million, J’avois employé quatre
jours pour arriver de Pétersbourg à Mofcou, tandis qu’on fait fou-
vent cette route en deux jours. C e retard avoit été occafionné pat
une multitude d’accidents que je n’avois pas prévus : ils avoient leur
fource dans le mauvais état des chemins,
Le froid m’avoit encore retardé, en engageant ceux qui m’ac-
rompagnoient à refter trop long-temps dans les poêles, pendant
qu’on changeoit les chevaux. Ces inconvénients me firent çonnoître
alors la vérité des obftaeles qu’on m’avoit prédits, & l’impoffibilité
d’arriver à Tobolsk, fi je ne prenois d’autres arrangements.
J’abandonnai les nouveaux traîneaux que j’avois commandés, &
je m’en procurai de ceux des Payfans : il m’étoit plus facile de les
faire arranger promptement. Je rétablis mes provifions, qui étoient
en affez mauvais ordre , ou plutôt M. de Woronzof me procura la
plus grande partie de ce qui m’étoit néceffaire. Je partis le 17 au
matin , réfolu de ne plus m’arrêter : je lignifiai le lendemain à mon
Horloger & à mon Interprète , que je les laifferois en route, s’ils
entroient dans les Poêles. Cette menace , qu’ils fa voient que ¡’exécuterais
, & l’eau-de-vie que je faifois diftribuer aux Poftillons ,
eurent tout le fuccès que j’en avois efperé : je n’éprauvois plus de
retard , & mes traîneaux alloient avec une rapidité fans égale. Les
rivieres gelent très promptement dans le Nord : leurs furfaces gelées
ne font point raboteufes, ainfi que la riviere de Seine à Paris • mais
elles font parfaitement unies : la vîteffe des traîneaux eft alors lî
grande qu’étant fur la riviere d’O cka , un des Poftillons ne put
éviter un trou où l’eàu n’étoit pas gelée , quoiqu’il l’eût découvert
à la diftance de plus de trente pas : un cheval de volée tomba
dans ce trou; les autres, malgré leur réfiftance, & les efforts du
Poftillon , qui ne ceffoit de les fouetter , y auraient été entraînés
fans le prompt fecours que nous y apportâmes, en coupant les
cordes qui l’attachoient au traîneau. O n trouve quantité de trous
pareils, ou 1 eau ne gele jamais, quoique la glace ait julqu’à trois
pieds d’épaiffeur, & que la rigueur du froid faffe geler l’eau-de-vie-
& 1 efprit de vin. J ai vu fur cette même riviere un efpace de plus de
cent toifes , où l’eau n’étoit pas gelée. On ferait d’abord tenté d’at-
tribüer ce phenomene a des fources d’eaU chaude qui peuvent le
trouver dans le fond de cette riviere : mais comment imaginer des
fources affez abondantes pour produire des ouvertures auffi confidé-
rables ? D ’ailleurs cette riviere étant d’une très grande profondeur ,
quelque legéreté fpécifique qu’on fuppofe à ces eaux de fource , elles
auraient le temps de contra&er un'degré de froid dans la diagonale
qu’elles parcourent pour parvenir à la furface. Il me paraîtrait plus