fes careffes : elle laiffe enfin échapper un foupir, onia relevefur lès
jambes encore foibles : mais ce premier écat de connoiffance augmente
fes inalheurs, elle leve les mains & les yeux au C ie l , &
femble implorer le fecours de l’Univers ; fes yeux fixes & ouverts ne
répandoient point de larmes. J’étôis tout faifî de ce fpectacle affreux :
je ne pus en être témoin plus long-temps ; je courus rejoindre ceux
qui m’avoient conduit à ce mariage, dans le delTein de m’en retourner
chez moi, & de m’éloigner de ce féjour de douleur : flaais l’Af-
femblée me préfenta une nouvelle fcene.
Les Experts, femblables à des Mégeres, étoient à peine forties
de la Salle nuptiale, quelles avoient mis le défordre.dans l'’Aifem-
blée : les deux plus vieilles & les plus méchantes, vomiffoient des
injures au bon-homme de pere, en lui tenant le poing fous la gorge.
( n ” . VII). C e pere anéanti, & les bras croifés, foüffroit toutes ces injures
en filenee, tandis que fa femme, perfécutcc par d'autres parentes
du mari, verfoit des torrents de larmes , & jettoit les hauts cris. Je
vois plus loin une autre Furie, qui tient d’une main une bouteille,
&: de l’autre le verre, percé ; lés yeux étincelants, & le vifage pâle de
fureur : elle court dans l’appartement les bras tendus, demande à
tout le monde la Matrone, pour la faire boire dans le verre percé :
elle heurte & culbute tout ce qui fe trouve fur fon paifage. Les convives
tâchent de fe démêler de ce défordre comme ils peuvent : l'un
cherche fon chapeau, une femme demande fon mantelet ; d’autres
veulent en vain adoucir les parents du jeune mari. Dans ce défordre
un plat renverfé caufe de nouveaux troubles , de la part du Do-
meftique qui a été culbuté, & de celui dont l’habit a été gâté. Des
enfants réfugiés dans un coin de l’appartement, font des cris affreux,
Les Muficiens en grouppe fur une efpece d’Amphithéâtre, fe dif-
pofoient de même a partir ; mais ils avoient déjà tiré parti du Feftin,1
par quantité d’eau-de-rvie qu’ils avoient bue : l’un, en attendant qu’il
puiffe trouver un paifage, admire tranquillement ce fpeétacle -, un
autre
autre eft fi iv fe , qu’il paraît ignorer la trifte aventure de la jeune
mariée , & la tête tremblante , ainfi que tout fon corps, il prélude
un air fur fon violon tandis qu’un troifieme , le corps penché en
arriéré , éleve avec peine un bras énervé par l’eau-de-vie ; & en le
lailfant tomber , apoftrophe de fa large main la phyfionomie du
Joueur de Violon , pour l’avertir qu’il faut partir.
Enfin je trouvai au milieu de ce défordre la perfonnequi m'avoit
conduit à cette noce. Tranquille dans un coin, elle y obfervoit
cette fcene tragique. Je la déterminai cependant à partir : mais elle
ne ceffa d’en rire jufqu’au logis , ainfi que de la colere que fa joie
m’dccafionnoit. Lui ayant demandé que deviendroit la jeune mariée
, il me répondit qu elle ne reparaîtrait plus dans l’Aifemblée
où il ne refteroit que quelques perfonnes : que le mari garderait fa
femme \ & qu a la longue il prendrait le meilleur parti, celui du
raccommodement.
Ces ufages fe pratiquent avec la plus grande rigueur dans toute
la Ruifie , au-delà dè Mofcou : mais on n’eft plus fi rigide dans
çette V ille , ainfi qu’à Saint-Pétersbourg : parmi les Grands on fe
contente communément d’enlever la chemife de la mariée, pendant
qu’elle eft couchée avec fon mari, & cette chemife offre toujours
des preuves authentiques de fa virginité. Racontant un jour à Saint-
Pétersbourg le trifte événement de la jeune mariée, dont je viens
de parler, une jeune Demoifelle m’interrompit, & fit part à l’Af-
femblée des fages précautions qu’on prend dans cette V ille , pour
éviter de pareils inconvénients. Je fus feul étonné de l’efprit cultivé
de cette jeune Demoifelle ; on en trouverait rarement ailleurs de 11
inftruites.
L ’artifice eft cependant une précaution néceffaire dans ces cir-
eonftances : fouvent l’effufion de fang n’a point lieu, quoique les
filles foient très vertueufes,tandis que d’autres en répandent, quoiqu’elles
aient eu commerce avec des hommes. Des faits vien-
Tome /. Y