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 pâleur mortelle  r il  continua  cependant fes prières.  Tout  le monde  
 le regardoit,  fans lui prêter aucun fecours ; je fus à lui, & l'obligeai  
 de s’alfeoir : il fe trouva mal ; mais heureufement fon excès de dévotion  
 n’eut pas de fuite  plus fàcheufe. 
 Les Ruffes  ont  la plus  grande  attention à  garnir cette Chapelle  
 de petites bougies  de fix à  fept pouces  de hauteur-, & de la groffeur-  
 de trois ou quatre lignes.  Ils y placent auffi  d’autres petites Images,  
 fur-tout celles qu’ils ont reçues en mariage. Les plus opulents fufpen-  
 dent une lampe devant la Chapelle : ils allument certains jours toutes  
 ces  bougies,. qu’ils laiifent brûler toute la nuit.  Le  peu  de précaution  
 qu’ils apportent à en fubftituer d’autres, avant que les premières  
 foient  totalement  brûlées ,  occafionnent  quantité  d’incendies  :  la  
 Chapelle ,   le Saint, la chaumière, & le Village  exider  ,  font confirmés  
 dans  quelques  heures.  Ces  accidents  font  fréquents,  parce  
 que cet  ufage  fe  pratique dans toute la Ruffie ,.même  chez l’Impé-  
 ratrice. 
 Les Ruifes ont une ii grande confiance aux Saints de leurs Chapelles, 
  qu’ils leur font toujours une  courte priere avant  de faire une  
 action quelconque. J’ai fu par un Rulfe épris des charmes d’une jeune  
 femme fa voifine,  dont il étoit aimé, qu’après avoir éprouvé toutes  
 les difficultés qu’occafionne un mari jaloux & incommode ,  il étoit  
 enfin parvenu à pénétrer dans l’appartement de la jeune femme : elle  
 fe rappelle le Saint de la Chapelle,  dans les moments qu’on regarde  
 en amour comme les plus précieux; elle court auffi-tôt faire fa priere  
 au  Saint, &  revient entre les bras de fon amant. 
 J’arrivai fe  z j  à Chlinowou Wiatka ,  à trois heures après midi  :  
 c’eft une petite Ville fituée fur  la riviere du même nom. Je  ne m’y  
 arrêtai  que  le  temps  néceifaire  pour  faire  raccommoder mes  traî-  
 neaux. M.  le Chancelier deWoronzof m’avoit adreffé à M. Permi-  
 n o f,  qui  pour  lors  étoit  abfent : Madame  fon  époufe me combla  
 d’honnêtetés.  J’acceptai le dîner quelle eut la bonté de m’offrir  & 
 E  H  S  I  B  É  R  I  E.  
 jê partis à huit heures du foir. La nuit étoit fi obfcure, que Madame  
 Perminof me  fit accompagner  à cheval par fes gens, qui couroient  
 la pofte  avec des lanternes attachées à l’extrémité  de grands bâtons;  
 Je les renvoyai à un quart de lieue de la V ille, ayant un flambeau à  
 chaque traîneau. 
 Le  Pays  avoir  toujours  été  couvert  ,  depuis K-uzmodemiansk  
 jufqu’à Chlinow s  il n’y  avoit que  les  environs des habitations qui  
 fuffent défrichés.  Ces  clairières occupoient rarement  une lieue ,  &  
 communément beaucoup moins. Toutes les fois que je me trouvois  
 fur des hauteurs, je m’y arrêtois, pour en découvrir les environs : ils  
 ne me  préfentoient jamais que des bois-;  les petits défrichements fe  
 perdoient toujours dans la’ maffe de ces immenfes forêts; 
 Apeine eus-je  fait quelques verfts, queje rentrai dans le bois, om  
 je voyageai toute la nuit fans accident, malgré les Culbutes fréquentes  
 de nos traîneaux. J’arrivai à Troitskoiele  z 6 à  deux heures après  
 midi : je fus obligé  de  m’arrêter dans ce Hameau jufqu’à fix heures  
 du foir-, pour faire raccommoder un  de mes traîneaux, qui avoit été  
 le plus maltraité dans  la derniere nuit.  Je partis de  cet- endroit avec  
 de nouveaux  chevaux.- 
 Depuis  fe  i z  que  j’étois parti de Mofcou,  je ne m’étois  arrêté  
 qu’à Nizno-wogorod ,  oû  j’avois  dormi une  nuit  : j’avois prefque  
 toujours  paffé le refte  du  temps  dans  mon traîneau,  où  je prenois  
 tres  peu  de repos,  à caufe des fecouffes & culbutes que j’éprouvois  
 fans ceffe. .Ceux qui m’accompagnoient ne s’accoutumoient pas à ce  
 genre de yie r- ils n’avoient d’ailleurs en vue aucun  objet qui pût les  
 encourager ; auffi me témoignoient-ils tous les. jours leur mécontentement. 
  J’eus à peine fait quelques verfts dans la forêt, que je m’endormis  
 dun  profond  fommeil : je m’éveillai  après quelque  temps*;  
 la nuit couvroit  encore la terre de  fes ombres ; je ne diftinguois  les  
 objets qu a la lueur de la neige, affoiblie par un ciel'nébuleux. Dans  
 ce premier  inftant  de  réveil,  je  ne  favois fi j;étois éveillé * ou fi,je.