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 dehors de ce vafte Empire ; & la Rallie étant, p r  la modicité de fes  
 revenus,  hors d’état de faire des dépenfes  extraordinaires ;  il  eft de  
 la plus grande  évidence  que cette-Puiflance ne peut  pas  entretenir  
 fur fes  revenus, un  corps  d’armée hors  de  fes  Etats.  Cette  vérité  
 eft' connue  de  tous  ceux qui  font  un  peu  inftruits  de  l’état  de  la  
 Ruffie  ; mais il étoit nécelfaire d’examiner les principes  fur  lefquels  
 elle eft  fondée. 
 En fuppofant à la Ruffie trois cents trente mille hommes de terré  
 &  de mer,  deux cents dix mille hommes  environ  forment  l’armée  
 de Campagne (i),  feize mille hommes de ces troupes font deftinées  
 à  la  garde du Souverain, & le refte  de  l’armée  eft  de  cent quatre-  
 vingt-quatorze mille  hommes.  O n   emploie  un grand  nombre  de  
 ces  troupes  à  garder  les  Criminels  t  à  les  conduire  aux  Mines.  
 Le nombre des Soldats détachés des Régiments, eft confidérable  en  
 Ruffie , ainfi que le non-complet. Dans les Mémoires que  j’ai eus ,  
 on  fait  monter le  non-complet  à  700  hommes par  chaque Régiment  
 compofé  de  1637  hommes , les  caufes  fuivantes  fe  réunifient  
 pour  le rendre  énorme en Ruffie. Le Collège  de la  Guerre  
 profite d’une  partie du  non-complet.  Les Provinces  d’où  l’on fait  
 venir les recrues font très éloignées, & on les raffemble difficilement,  
 parce que les chemins  font prefque  impraticïbles  : les Ruffes ont la  
 plus grande  répugnance pour le militaire  ;  ce qui eft caufe qu’une  
 grande  partie defertent, &  beaucoup meurent de fatigue avant d’arriver  
 au Régiment  ;  ces  recrues en font fouvent  éloignées  de  fept  
 à huit cents lieues  &  quelquefois  plus.  J’ai  vu  dans  l’intérieur  du  
 Pays  , la répugnance des Ruflès pour le Militaire ; j’ai fuivi pendant  
 quelque temps un  de ces détachements à mon retour de  Tobolsk  à  
 S. Pétersbourg ; après l’avoir quitté en entrant dans quelque V ille ,  
 où je m’arrêtois fept à huit jours , je le rejoignois  fouvent dès le len( 
 1) Voyez page  158. 
 demain de mon départ ( i )  ; &  j’ai fu par l’Officier Rufle qui condui-  
 foit ce détachement, que la defertion étoit fi  confidérable, qu’il ne  
 fe flattoit pas d’en conduire la moitié à Saint-Pétersbourg, quoiqu’il  
 prît fur  la route  des Troupes difciplinées  pour  empêcher  la  défer-  
 tion.  Le defefpoir étoit peint fur le vifage de  chaque Soldat ;  cette  
 recrue  reiTembloit à  une troupe de malheureux que l’on  conduifoit  
 aux Galeres.  La défertion eft doublement funefte à la Ruffie : non-  
 feulement elle perd des Soldats ; mais ces déferteurs ne pouvant plus  
 paraître  dans les habitations, parce qu’ils y feraient arrêtés, ils  forment  
 des bandes de Brigands qui défolent le Pays ; & ce n’eft pas fur  
 des ouï-dire que je rapporte ce fait, je fus obligé  de prendre une eC-  
 corte ,  à mon retour de Tobolsk, pour traverfer avec quelque sûreté  
 ces Provinces  (i). 
 Suppofant le non-complet de fept cents hommes par Régiment ,’  
 on trouve qu’il doit être au moins  de  foixante-quinze mille  hôm-  
 ,mes dans  l’armée de Campagne ,  que j’ai déterminée de deux  cents  
 dix mille hommes ; il en  faut diminuer la garde de l’Impératrice de  
 feize mille hommes, garde qui refte touj ours auprès d’elle. L ’armée de  
 Campagne  eft  alors réduite  à  cent  vingt  mille hommes environ  ;  
 mais il faut encore diminuer cette armée d’une multitude de perfon-  
 nes qui font comprifes,  en Ruffie,  dans  l’Etat Militaire  de chaque  
 Régiment,  quoiqu’elles ne  fe battent jamais.  De.ce nombre  font  
 les Fouriers, les Ecrivains,  les Barbiers,  les  Serruriers ,  les Maréchaux  
 ,  les  Charpentiers,  les  Valets  d’équipages  ,  d’Officiers  &   
 d’Artillerie , &  différents autres Employés  (.3),  C e nombre de Per-  
 fonnes monte à plus  de trois cents hommes par Régiment, & à plus 
 (1)  On verra dans  la relation  de mon retour  de  Tobolsk  ,  les difficultés  de voyager  
 pendant l’Eté. 
 (i)  Je  rapporte ce  détail  dans  la  relation  de  mon  retoijr  de  Tobolsk  9.  Saint-Pétersbourg. 
 0 )  Voyez l’état de la dépenfe  d’un Régiment, page  167. 
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