renonçai à mon Oifeau, & ne fus pas tenté d’en chercher de nouveaux.
Je regagnai le bateau dans lequel j’avois; defcendu la riviere,
& ne le quittai qu’au premier Village«, fitué fur un terrein affez
élevé. Tout y annonçoit la plus grande rnifere. J’en parcourus les
environs. O n avoit femé du bled dans quelques endroits ; il étoit
auifi beau qu’on pouvoit le délirer ; mais fi peu avancé pour la faifon,
que les Habitants défefpéroient qu’il eût le tems de mûrir.
O n ne voit à Tobolsk aucune efpece de fruits d’Europe, excepté
la grofeille , qu’on trouve quelquefois dans les. bois. Les fruits du
Pays font le glouguat, & une efpece de framhoife, Le glouguat a
beaucoup de rapport à nos grofeilles. Ces fruits ont un goût aigrelet,
& font regardés comme anti-fcorbutiques. O n y recçeuille ençore
avec foin les fruits d’une efpece de p in , qui relfemble fort au çedre,
Il en croît cependant peu dans les environs de Tobolsk : mais on en
trouve en quantité dans ceux de Werkhotourie. Les fruits de cet
arbre font très recherchés : ôn les mange cruds, & l’on en retire une
huile pour l’ufage ordinaire de la table.
O n a tenté envain de femer des légumes à Tobolsk : les radis,
quelques falades, & une efpece de chou vert & frifé , font prefque
les feuls qui aient réuffi ; mais les Habitants ont dans leurs jardins
de la rubarbe de la fécondé efpece, dont ils mangent les feuilles en
falade. Ils en font auili avec des piffenlip, des orties lorfqu’elles
commencent à pouffer.
U n Ruffe avoit apporté de Mofcou un jeune pommier , qu’ij
avoit élevé dans une ferre : il produifit cette année ( 1 7 6 1 ) une
pomme de la groffeur de .celles d’api. On l’apporta dans un grand
plat au milieu d’un dîner de cérémonie ; elle fut coupée en petits
morceaux, & diitribuée à quelques convives, O n me fit l’honneur
de m’en donner un morceau. Ce fruit étoit fi aigre & fi mauvais, que
je ne pus jamais me déterminer à le mâcher. Pour répondre à l’honr
nêteté qu’on m’avoit faite, je fus obligé de l’avaler comme une pilule,
Les pâturages font cependant de toute bonté. L ’herbe croît partout
également bien : auifi les Habitants ont-ils beaucoup de bef-
tiaux. J’avois lu dans quelque Voyageur, que le terrein ne dégeloit à
Tobolsk pendant l’été que de quelques pieds de profondeur : je fus
confirmé dans cette idée par un Habitant de cette Ville. Mes obfer-
vations journalières rendirent cependant fon autorité auifi fufpeéte
que celle de l’Auteur que favois lu. Je tentai plufieurs fois de faire
creufer la terre. La difficulté d’avoir des Manoeuvres dans ce Pays
ou tout eftEfclave, me détermina à m’adreffer au Gouverneur •: il
eut la bonté de me donner une douzaine de Criminels enchaînés &
condamnés aux travaux publics, ainfi que les Galériens dans nos
P orts. Jefis d abord creufer la terre jufqu a dix pieds-; elle étoit dégelée,
Je mepropofai d’aller encore à une plus grande profondeur. Ayant
cru pouvoir fans conféquence augmenter la paie de ces malheureux,
qui n’étoit que d’un fou par jour, je leur fis diftribuer quelque argent.
Us firent apporter quantité d’eau-de-vie, foulèrent la Garde ,
Sf le fauverent pendant qu’elle dormoit. Je trouvai quelques jours
après leurs fers dans les bois. M. le Gouverneur n’ayant pas jugé à
propos de m’en envoyer de nouveaux , je fus obligé d’abandonner
cet ouvrage« Ils avoient encore creufé la terre de quatre pieds ,l
iàns quelle fut gelee. J y enfonçai enfuite mon épée jufqua la
garde (x ), avec la plus grande facilité. Il eft donc bien confiant que
le terrein dégele totalement à Tobolsk, puifqu’il l ’eft à feize pieds
de profondeur. Si cette épreuve me défabufa fur l ’idée que je m etois
formée du climat de T obolsk, elle me confirma auifi dans celle que
j ’avois fur le danger d’avancer des faits d’après la tradition & les ouï-
dire , & je crois qu’on doit plutôt à la crédulité des Voyageurs qu’à
leur mauvaife foi, les menfonges trop communs dans les Ouvrages
de quelques-uns.
1 1 ) Je voyageois en Laïp,
J'orne If M