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 pour toute  grâce,  qu’on lui fît trancher la tête  ;  maïs qu’on épargnât  
 fa  peau,  c’eft-à-dire,  quelle n'eût pas le knout. 
 .  Malgré  les  intrigues  de  Beftuçhef,  rimpératrice Elifabeth ne  
 voulut  jamais  eonfentir  que ces Prifonniers  fuifent condamnés au  
 knout  :  tous leurs biens furent confifqués ;  ils furent exilés en Sibérie  
 ,  &  enfermés dans des  endroits différents,  fans  avoir lu permif-  
 fion de s’écrire. 
 Une  chambre formoit  tout  le  logement de Mme de Leftoe ; elle  
 avoit pour meubles  quelques  chaifes,  une table,  un poêle & un lit  
 fans  rideaux !  il étoit  compofé d’une  paillafle & d’une  couverture ;  
 elle  ne  changea  que  deux  fois  de  draps  dans  la  première année.  
 Quatre Soldats la gardoient à vue, & couchoiënt dans fa chambre,  
 d’où  elle  n’avoit  point la  permiflion de  fortir, même pour fes be-  
 foîns  :  à  peine  aVoit-elle  quelques  chemifes  pour  en  changer de  
 temps  en  temps.  Leftoe publioit  à  fon retour que fa femme etoit  
 toujours étonnée de ce qu’elle n’avoit pas fuccombé au feul défegré-  
 ment  d'être  rongée  par  la  vermine,  fuite  de  la  malpropreté dans  
 laquelle,  elle  étoit  forcée  de  vivre.  Elle  jouoit aux  cartes  avec les  
 Soldats,  dans  l’efpérançe de gagner quatre ou cinq fous,  dont elle  
 pût difp.ofer  ; ce qui ne lui étoit pas toujours permis. Ayant pris un  
 jour  de l’humeur  contre  l’Officier qui  commandoit,  cet  Officier  
 lui cracha au nez,  & lui rendit fa captivité plus dure, 
 Le Comte  de Leftoe étoit encore plus malheureux,  parce que la  
 vivacité  de  fon  caraétere  ne  lui permettoit  pas de fouffrir patiem-i  
 ment  la plus petite contrariété ; &  il ne jouiffoit  de  la liberté de fe  
 promener dans fa chambre qu’autant  qu’il ne s’approchoit pas de la  
 fenêtre. 
 L ’Impératriçe Elifabeth  avoit cependant accordé à Leftoç, ainlî  
 qu’à fa femme ? douze livres de France par  jour, traitement avantageux  
 en Ruffie : mais dans la crainte qu’ils n’employalfent cet argent  
 p. corrompre leurs Gardes,  ¡çes exilés n’avpient point  Je maniement 
 des 
 des  fonds  qui  leur  étoient  deftinés  :  l’Officier  de garde en étoit le  
 tréforier ;  il étoit chargé de  leur procurer tout ce qui leur étoit né-  
 eeflàire, &  il les laifloic manquer de  tout. 
 Le Comte de Leftoe fut réuni avec fa femme après  quelques années  
 : ils  avoient alors plufieurs  appartements, & un  petit  jardin  à  
 leur  difpofition  ;  Mme de Leftoe cultivoit le jardin, portoit l’eau,  
 faifoit  la  bierre  ,  le  pain  ,  blanehifloit,  &c. L ’Officier de garde  
 leur procurait mêmequelquefois de la  compagnie : un de fes amis,  
 chargé  de  conduire  un  Détachement  en  Sibérie,  défira de voir  
 Leftoe.  Ayant  lié  une  certaine  intimité avec lu i,  cet Officier lui  
 propolà de jouer.  Le Comte de Leftoe lui gagna quatre cents livres  
 de France :  cette fomme étoit une fortune pour  les  deux exilés ; ils  
 furent informés prefqu’auffi-tôt qu’elle étoit deftinée  pour le Détachement  
 que cet Officier conduifoit. Mme de Leftoe fe jecta aux genoux  
 de fon mari ;  elle le conjura de  remettre  cet argent a cet imprudent  
 Militaire 3  Leftoe  la  releva,  &  envoya  cette  fomme  au  
 plus prochain Village,  pour être diftribuée aux Pauvres. 
 Après l’exil de M . de Beftuçhef,M. le Comte de Woronzof,grand  
 .Chancelier, tenta plufieurs fois d’obtenir de l’Impératriee Elifabeth  
 le rappel du Comte  de  Leftoe,  dont  il  connoilfoit  l’innocence.  
 Cette Souveraine ne voulut jamais l’accorder ;  elle avoit cependant  
 la finguliere attention de donner des ordres, pour qu’on lui envoyât  
 de temps en temps du vin : elle favok qu’il l’aimoit beaucoup. 
 Après quatorze ans d’exil, Leftoe & fe femme font enfin rappejlés  
 par Pierre III : Leftoe arrive à St. Pétersbourg en habit de Moufic ( 1 ).  
 Tous les Seigneurs  de la Cour & tous les Etrangers s’empreflent de  
 l’aller voir,& de lui faire oublier le temps de fon exil. Les témoignages  
 d’amitié qu’il recevoir étoient finceres, parce que tout le monde  
 connoilfoit fon innocence ; l’Impératrice Elifabeth n’avoit jamais eu 
 (1) Habjt An bas Peuple : il eft fait communément depeaq de Mouton. 
 Tomt  L   C g