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 contre le mur,  délirant fa voir le degré  de chaleur de l’endroit ; elle  
 étoit  étouffante. Ces Habitants  furent  aulfi  étonnés  de  cet inftru-  
 ment, que ceux de Kuzmodemiansk 1 avoient été de mon baromètre ,  
 qu’ils avoient  pris pour une horloge.  Le  thermomètre fit fur ceux  
 de Wakfarina d’autant plus  d’imprelfion, que cet infiniment tranf-  
 porté  de  l’air froid dans  un  poêle  des  plus  chauds, montoit  avec  
 rapidité. Les voyant fort attentifs à ce phénomène,  je leur  dis fans  
 aucune vue particulière, que ce  thermomètre indiquoit le chaud &   
 le froid ; que le mercure montoit dans le premier cas, & defcendoit  
 dans le dernier.  Cette explication naturelle ne le fut  pas pour eux j,  
 ils attribuèrent du merveilleux  à cet  inftrument.  Je m’en apperçus>  
 &  je ne manquai pas d’en profiter. Le thermomètre monta bien-tôt  
 à  vingt-cinq degrés  :  je  le pris alors  ,  &  leur  dis  d’un  air  aifuré,  
 qu’il nous indiqueroit,  en le tranfportant dehors,  fi  l’on  pouvoit  
 palier  la  riviere fans danger  ;  que  dans  ce  cas  il  defcendroit  au  
 deffous d’un  terme que je  leur  fis marquer ( ï ).  Ils attachèrent aulfi  
 le thermomètre en  dehors : je  rentrai  aulfi-tôt, &  ne parlai plus de  
 partir. Je m’apperçus bien-tôt  de  la fermentation que produifoient  
 l’ignorance & la fuperftition dans toutes ces têtes , échauffées encore  
 par quelques mots de l’objet  de mon voyage, qu’ils avoient entendus  
 , Si qu’ils  ne comprenoient pas plus que l’ufage de quelques-uns  
 de mes autres inftruments qu’ils avoient vus. 
 J’étois  occupé  à  les  faire  boire ,  lorfque  le  plus mutin, que je  
 n’avois pas vu fortir , rentra avec  enthouliafme, & me dit que l’animal  
 étoit defcendu au deffous de l’endroit indiqué. Tous çoururent  
 s’en affurer, & je n’eus dans ce moment d’autre embarras pour partir,  
 que  celui  de  faire taire mon Interprète,  qui vouloir leur expliquer 
 ( i )  Ce terme  étoit  celui d’un degré  au deffous de  o , &  il étoit  communément en  
 dehors à cette heure,  deux ou trois  degrés au deffous. Ce terme étoit éloigné de plus  
 de quatre pouces de celui de vingt-cinq degrés. 
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 que le mercure n’étoit pas un animal.  J’eus bien-tôt  le nombre né-  
 ceffaire  de  chevaux,  &   je  ne  fis  pas  attendre  les  Poftillons pour  
 partir :  celui qui avoit été  le  plus mutin  toute  la journée,  étoit le  
 plus  enthoufîafte  dans  ce  moment.  Je  le chargeai  de  conduire  le  
 traîneau où étoient mes inftruments  :  il me précédoit, & les autres  
 nous fuivoient.  A  peine  fûmes-nous  fortis  du Hameau,  que nous  
 découvrîmes la riviere :  c’étoit le feul objet qui s’offroit à la vue,  au  
 milieu  des  ténebres  qui  couvraient cet hémifphere :  la foible lueur  
 des  étoiles  ,  réfléchie par l’eau qui couloit  fur cette  glace raboteu-  
 fe  ( i ) ,  faifoit  diftinguer  au loin  cette riviere,  par les  reflets & les  
 différentes  nuances  de  leur  fombre  lumière  ;  ils  préfentoient  les  
 apparences  des ondes légèrement  agitées. No\js  arrivâmes bien-tôt  
 fur fes bords, où régnoit le  plus profond filence. Le premier Poftil-  
 lon fe difpofe à la traverfer,  &   s’arrête  aulfi-tôt. J’étois debout fur  
 mon traîneau : je lui crie ftoupai  ( en françois, marche )  ; &  je poulie  
 en même-temps  mon  Poftillon  fi rudement,  que  celui-ci  part  à  
 l’inftant. Le premier ne veut point  être  prévenu : il  part avec  plus  
 de vîteffe ;  les autres nous fuivent,  &   dans un clin d’oeil nous  arrivons  
 à l’autre bord. 
 Je  ne  jouis cependant pas  dans  ce moment  de  l’excès  de  plat-'  
 fir que  je  devois  reffentir. J’eus  à  peine  traverfé  la  riviere,  que  
 j’éprouvai  un  tremblement  dans  tous  mes  membres  ,  fuivi  de  
 treffaillements  convulfifs :  mes  forces,  qui  avoient  paru  acquérir  
 plus  de  vigueur,  à mefure  que  j’approchois  de  cet  inftant  ,  
 s’affoiblirent  tout-à-coup  :  j’eus  recours à un refte  de  liqueur  que  
 j’avois  dans  mon  traîneau.  Je  me  trouvai  bien-tôt  foulagé ;  je  
 m’endormis  ,  &  je  dormois  encore  en  arrivant  à  la  Pofte  de  
 Cheftakova.  Je partis  aulfi-tôt  de  cet  endroit,  &   j’arrivai dans 
 ( i) Ces inégalités étant occafionnées par la glace déjà fondue, ne contrediient point  
 se que j ’ai dit ailleurs, que  la furface des rivières gelées étoit unie. ■