les Officiers de l’Armée : on appelle ces valets Dertjchik. Ces derniers
font très nombreux : on en fait des Soldats après un certain temps
de fervice. On y comprend auffi tous lesSoldats deftinés à garder les
prifonniers & les criminels ; mais je n’y ai pas compris les Troupes
irrégulières : ellesfontcompofées de Cofaques,de Zaporoviens,de
Calmouks, de Valaquesjonnen fait ufage qu’en temps de guerre.
On ne leur donne aucune paye , ils n'ont que ce qu’ils retirent du
pillage. Ces Troupes ne font pas redoutables par elles-mêmes, étant
communément mal montées, & n’ayant aucune efpece de difcipline;
mais elles le font beaucoup par leurs brigandages : elles pillent &
ravagent tous les Pays par où elles pafTent, & y exercent les plus
grandes cruautés. Les Ruifes tirent peu d'avantages de ces Troupes
pour garder leurs camps , & elles font fouvent très funeftes à leur
armée par la confommation des vivres & des fourages.. Elles ont
toujours à leur fuite quantité de chevaux pour emporter le bu-
tin..Dans les états que j’ai eus du Militaire de RuiGe-r ce corps de
Troupes fe monte quelquefois à trente & quarante mille hommes,,
& quelquefois plus. Or faifant entrer ces Troupes dans l’Etat Militaire
, 1e nombre des Troupes de Ruffie feroit de trois cents ioi-
xante mille hommes environ.
Ce nombre coniidérable de Troupes me parut d’abord un paradoxe
, en coniîdérant la dépopulation de cet Empire, & la modicité'
de fes revenus. J’ai eu entre mes mains les Etats Militaires, avec les
noms & le détail des Régiments. Il eft donc confiant d’après ces Mémoires
, que l’Etat Militaire fe monte à 3 3 o o o o hommes, en nombre
rond , fans y comprendre les Troupes irrégulières. M. de Voltaire
le trouve, en 171.3 ,àpeu-près le même (ij. Mais par quel mécha-
nifme d’adminiftration, la Ruffie peut-elle entretenir un Corps il
- (r) M. de Voltaire détermine en 172 y le nombre de Trouves» tant fur terre que lût
jn e i,d e 335Î00. TomeL page 55.
eonfidérable ? Eft-il néceflàire au Souverain de cet Empire ? Ne
doit-il pas diminuer l’Etat Militaire le plus qu’il eft poffible, vu la
dépopulation de fes Etats ? Et fi le Souverain eft obligé d’avoir e-n
temps de paix un corps de Troupes fi eonfidérable, eft-ceune preuve
reelle de fa puiflance? L’examen de ces différents objets me parut fi
intéreffant pour l’humanité, pour l’Europe , & peut-être pour la
Ruffie, que je me donnai tous les foins pour éclaircir cette matière.
Pour procéder avec ordre , il eft nécelfairede confidérerla Ruffie
dans les rapports qu’elle a avec l’Europe , avec fes Voifins Afiati-
ques ; & il faut faire attention à l’étendue de cet Empire. On con-
noît parfaitement l’état politique de la Ruffie dans fes rapports avec
1 Europe. Plufieurs Auteurs ont écrit fur ceux qu’elle a avec les Tar-
tares fes voifins ; mais foit que l’état politique de ces différentes
Puiffances aitfouffert quelque changement ou non , il eft indifpen-
fable de le rappeller ici. D ’ailleurs les faits rapportés par les Voyageurs
qui m’ont précédé, n’en feront que plus authentiques.
A mefure qu’on s’éloigne de Saint-Pétersbourg en- approchant du
Kamtchatka , les Peuples font moins fournis , non-feulément à
caufe de la difficulté d’envoyer des Troupes & des munitions Vers
la partie orientale de cet Empire , mais encore parce que celles
qu’on y envoie n’étant plus à portée du Souverain , le Militaire ,
les Gouverneurs & tous les Employés y abufent de l’autorité que le
Souverain leur confie. Ces Peuples font toujours prêts àfe révolter;
c’eft un inconvénient attaché à tous les Etats d’une vafte étendue.
On trouve même en Sibérie des Peuples que la Ruffie n’a jamais pu
fubjuguer depuis la conquête de cette Province.LesTchouktchi font
de ce nombre. Les loukagires leurs voifins & les Koriaques font
médiocrement fournis. Tous ces Peuples habitent l’extrémité du
Nord-Eft delà Sibérie ( i ). Quoiqu’ils foient d’une foible reffource
"(i) Il faut fuivre cette defcripti'on, la Carte fous les yeux. Carte générale , N?. XX