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 d’une Flotte  fur  la Mer Cafpienne.  Il  fut  chargé  en même-temps  
 d’en  lever  le  plan  ,  &  c’eft à  lui  que  l’on doit la  première Carte  
 exacte de  cette  Mer. Après  la mort de Pierre Ier, il fut cruellement  
 perfécuté  par  fes  ennemis,  qui  trouvèrent  le  moyen  de  le  faire  
 exiler.  Il  fut  rappellé ;  &  après  différents  événements,  la Czarine  
 Elifabeth  lui  donna  le Gouvernement de la Sibérie.  Il avoit vécu  
 long-temps à la Cour ; aufli en connoiffoit-il toutes les rufes. Quoique  
 né avec un caraétere naturellement vrai, les difgraces qu’il avoit  
 éprouvées l’avoient rendu méfiant. &  diifimulé. Son efprit fupérieur  
 le rendoit dangereux à  fes  ennemis  :  il étoit  hardi,  entreprenant,  
 capable  de  former  &  d’exécuter  de  grands  projets,  s’il  avoit  été  
 moins âgé. Malheureufement pour moi il ne parloit pas le françois.  
 J’ai reconnu dans bien des circonftances que j’avois beaucoup perdu  
 de n’avoir pu m’entretenir avec  lui que  par le canal  de mon Interprète. 
 Tobolsk a  un Archevêque ,  dont  le  Diocèfe  comprend  la  plus  
 grande  partie de  la  Sibérie. Le Prélat qui occupoit  alors  ce Siege,  
 étoit  Polonois.  Ses  çonnoiffances  n’étoient  pas  étendues ; mais il  
 poffédoit  parfaitement la Langue  latine &  la Bible,  Son  zele  pour  
 fa Religion  étoit un fanatifme des plus outrés. Une ceffoit de perfé-  
 cuter les Mahométans &  les Païens des environs de  Tobolsk,  pour  
 les  convertir à la Religion Grecque.  Il étoit  d’ailleurs très po li,  &  
 très aimable dans  la fociété, 
 Outre  ces  principaux Officiers,  il  y  avoit  encore  à  Tobolsk le  
 Grand Général,  qui occupoit dans le Militaire  un rang diftingué.  
 Homme  foible ,  imbécille &  fuperftitieux, il croyoit, ainfi que le  
 Peuple,  que mon  arrivée  dans  ce Pays  étoit la caufe du débordement  
 de l’Irtisz, & que ce  fleuve ne rentrerait dans fon  lit qu’après  
 mon départ. 
 Tous les Confeillers de la Chancellerie, & plufieurs Négociants, 
 tiennent  un  état honnête  à  Tobolsk.  La Garnifon,,  compofée de  
 deux Régiments d’infanterie,  fournit un grand nombre d’Officiers  
 qui ne refpirent que  le  plaifir. 
 Le Clergé eft compofé  de  cinquante Moines  & d’une vingtaine  
 de Prêtres.  O n   en  compte  trois  parmi  eux  qui favent le Latin , y  
 compris l’Archevêqure.  - 
 Ces différents états du Militaire, des gens de Juitice, du Clergé ,  
 & des Négociants, formeraient par-tout ailleurs des Sociétés agréables  
 :  la  plupart  des  perfonnes en place y  font même envoyées de  
 Saint-Pétersbourg &  de Mofcou. 
 La Ville de Tobolsk  piéfente à  la diftance d’un  quart de lieue,  
 un  bel  afpeét  par  fa fituation,  & à caufe  d’une multitude de petits  
 clochers,  la plupart couverts de cuivre jaune. Mais cette beauté dif-  
 paroît en entrant dans la Ville  :  les maifons font toutes  de bois,  &  
 mal bâties ;  le  Gouvernement,  l^fHhancellerie, l’Archevêché ,  la  
 Maifon  de V ille ,  &  une  efpece  de Citadelle ,  font les feuls bâtiments  
 où l’on a employé de la brique & quelques pierres. 
 On  peut à peine paffer dans les  rues de  cette V ille,  à caufe de la  
 quantité  de boue  qu’on y  trouve ,  même dans la  Ville haute ,  excepté 
 une partie  de l’été.  Pour remédier à  cet inconvénient,  on  a  
 fait des chemins  avec du bois dans quelques rues,  ainfi  que cela fe  
 pratique dans toute la Ruflie :  mais  ils  font fi mal  entretenus à T o bolsk  
 ,  qu’on  ne  peut guères  fortit qu’en voiture ;  elles  y  font aflèz  
 communes,  parce  que le bois, les chevaux & leur nourriture y font  
 à vil prix. 
 Les hommes font grands, robuftes & bien  faits dans la Sibérie,  
 ainfi que  dans  prefque toute la Ruflie :  ils aiment les femmes & les  
 liqueurs à l’excès. Efclaves d’un Souverain defpote, ils exercent encore  
 avec plus de dureté ce même pouvoir à l’égard de leurs Efclaves  
 ou de leurs inférieurs.  '