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 écoit defcendu  la même année  17 6 1  à deux  cents quatre-vingts degrés  
 ,  qui  répondént  à  foixante-dix  environ  de , celui  de  M. de  
 Réaumur. Cet horrible  froid ,  prefque  incroyable , m’étonna d’autant  
 plus , qu’il  falloit traverfer une cour pour  obferver le  thermomètre  
 expofé  au  Nord  contre  un  mur,  &  je n’imaginois pas que  
 l’homme pût fupporter un  froid fi rigoureux.  Le  froid  que j’avois  
 éprouvé  en  Ruffie  me  confirmoit  encore  dans  cette idée. J’avois  
 craint  plufieurs  fois  de  ne  pouvoir y réfifter,  quoique  le thermomètre  
 de M.  de Réaumur  ne  defcendît qu’à vingt-deux degres  environ  
 : mon  haleine fe geloit autour de  mes  levres, & ne formoit  
 qu’un glaçon avec ma barbe, que je n’avois faite depuis mon départ  
 de  Mofcou  qu’une  feule fois à N iz-nowogorod,  où j’avois  fejour-  
 né. La quantité  de  peliifes dont j’étois  couvert mettoit à la vérité à  
 l’abri  de  ce froid  le refte du corps.  La  neige même  qui tomboit,  
 fervoit  quelquefois à m’en  garantir  ,  en formant fur mon traîneau  
 une couche de  cinq à fix pouces d’épaiffeur  :  mais l’air que je refpr-  
 rois produifoit  fur ma poitrine,. dont je  n’avois  jamais été incommodé  
 ,  un  déchirement  fi  confidérable, que  j’étois  accablé  par là  
 vivacité des douleurs continues que j’éprouvois. Ces dures expériences  
 me rendirent fuiiaeéfc le froid  de  foixante-dix  degrés. D ’ailleurs  
 le mercure eondenfé à un certain degré dans le thermomètre,  exige  
 un  froid beaucoup plus confidérable, pour qu’il continué à fe  con-  
 denfer dans  le même rapport ;  de  forte qu’en  fuppofant le froid de  
 Solikamskaïa quatre fois  plus grand que celui que j’avois  éprouvé,  
 ce froid exceffif,  dont on rie peurfe former une idée , feroit  confi-  
 dérablement au deffous de celui auquel les Habitans de Solikamskaïa  
 avoient été expofés. 
 Défirant  avoir  fur  ce  fait  les  plus  grands  éclairciffements, j,e  
 fus  voir  le  thermomètre  dont  le  Ruffe  avoit  fait  ufage  :  il  étoit  
 appliqué fur  une  plaque de cuivre  parfaitement divifée 3 & fa hauteur  
 ,  réduite  pour ce jour  fuivantles  réglés  connues, s’accordoit 
 parfaitement  avec  celle  de  mon  thermomètre,  fait  avec  la  plus  
 grande exaétitude fur les principes de M. de Réaumur. Je ne poüvois  
 alors avoir aucune incertitude  fur la bonté  de cet inftrument. Je rne  
 fis  apporter  le  Journal  d’Obfervatioris  de  toute l’année, & je reconnus  
 avec la plus grande évidence ,  par la marche  du thermomètre  
 ,  la  vérité  de  ce  fait extraordinaire. C ’eft fans doute à des froids  
 femblables que Fon doit attribuer  les accidents  qu’éprouvent quelquefois  
 les Voyageurs en Sibérie. On m’alfuraà Solikamskaïa, qu’il  
 augmentoit  dans quelques  heures  avec  tant  de  vivacité,  que dans  
 ces circonftances les hommes & les chevaux étoient frappés de mort,  
 lorfque trop éloignés  des  habitations,  ils  ne  pouvoient  s’y réfugier  
 promptement. 
 Il arrive fouvent  dans les froids  ordinaires,  que quelques  parties  
 du  corps  fe  gelent : 011  fe  contente  alors  de  les  froter avec de  la  
 neige  ,  &  la  circulation  fe  rétablit auifi-tôt. Lorfque: ces accidents  
 arrivent au vifage, qui dans ces froids n’eft prefque plus fufceptible  
 de fenfation,  il  eft  néceifaire qu’on en foit averti :  on  fe rend mutuellement  
 ces fervices effentiels, fans lefquels on feroit bien-tôt privé  
 de la partie gelée. 
 Le  climat  de Tobolsk eft  très froid  :  le  thermomètre  de M.  de  
 Réaumur y a été dbfervé à trente degrés en  1733  (1)3 mais-il paraît  
 que les hivers y  font moins  durs qu’à Solikamskaïa.- Quoique celui  
 de  176 r  ait été très rigoureux dans cette Capitale de  la Sibérie,  il  
 n’avoit cependant aucun rapport avec  celui  de Solikamskaïa. 
 Le fol des environs de Tobolsk eft très propre à l’agriculture : on  
 trouve  par-tout  une  couche  de  terre  noire  d’un pied -d epaiiTeut,  
 jufqu’à deux. Cette terre eft fi  graife,  qu’on n y fait jamais ufage du  
 fumier pour FengraiiFer : elle eft fi légère , qu’on laboure facilement  
 avec  un feul cheval. Malgré toutes ces circonftances les  plus propres 
 ( 1)  M. DelifIe> YoI. Acad, 1749, page  ï  des Mémoires,