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 fouvent fe culbutoient par l’exceffive vîtefle dont ils alloient. Quoique  
 ce fpe&acle  fût des plus amufants pour m o i, je  ne pouvois en  
 jouir  long-temps  :  la rigueur  du froid qui  faifoit defcendre le thermomètre  
 a  dix-huit  degres,  m obligeoit  de  rentrer promptement  
 dans  mon  traîneau ;  je  ne  pouvois  fupporter  d'ailleurs  l’exceifive  
 viteife  ,  lorfque  je  reftois  debout  fur  mon  traîneau.  Les  chevaux  
 dont on fait ufage font d une  eipece très petite :  ils paroiflent même  
 très foibles à  la vue ;  mais ils font durs à la fatigue, Si vont avec la  
 plus grande viteille,  quoique lés Portillons  les  fouettent rarement :  
 ils fe  bornent a les  lîifler  en  remuant la main  ,  &  en leur parlant j  
 ils appellent ces animaux leur mere,  leur foeur3  leur bien-aimé :  on  
 croiroit,  à  les  entendre,  qu iis iont en  converiktion avec des êtres  
 raifonnables.  Je  faifois  quelquefois  quatre  lieues  par  heure  :  mais  
 j etois iouvent retarde par la  difficulté de trouver allez  de  chevaux. 
 Si la mauvaife faifon m’avojt fait éprouver beaucoup  de défagré-  
 ments  en voyageant  en traîneau,  je fus  convaincu par la traverfée  
 que je fis de Niznowogorod a Kuzmodemiansk  , que cette voiture  
 eft fort agréable dans le commencement de l’hiver : j’étois auffi tranquille  
 dans mon traîneau fur le Volga , que je l'aurais été en été dans  
 un bateau. 
 Kuzmodemiansk eft un aiTez gros Village qu’on appelle Ville en  
 Ru/fie  :  il  eft fitué  fur  le bord  du Volga.  Je trouvai à la porte une  
 affemblée  d’une  quinzaine  de Payfans ;  ils prirent mon baromètre  
 pour une horloge. Un de ces Payfans avoit une chaîne au cou, d’où  
 pendoit  un  gros  billot  de  deux pieds &  demi  de hauteur  fur huit  
 pouces de  diametre :  c’eft  une punition ; mais je ne pus  favoir  fon  
 crime.  Je  trouvai  dans  cet  endroit  tous  les  chevaux  dont  j’avois  
 befoin :  je partis aulfi-tôt, & quittai la route du Volga avec regret. 
 Depuis Saint-Pétersbourg je n’avois point rencontré  de monta*  
 gnçs  qui  en meritallent  le  nojn  ;  çette yafte  plaine eft découverte 
 Üans  bien  des  endroits,  & cultivée  en partie : on  ne  voit  dans  les  
 autres que des pins  Si des bouleaux. Après avoir traverfé le Volga à  
 Kuzmodemiansk,  j’entrai  dans  une  grande  forêt  de  plus de trois  
 cents lieues  de  lonfüeur  :  on pourrait même regarder  comme  une  
 feule forêt le refte de la route, jufqu’aux environs de Tobolsk, dont  
 j’étois  encore éloigrté de près de cinq cents lieues. 
 Les bois étoient de même nature dans  cette forêt que  ceux dont  
 j’ai déjà  parlé :  mais la neige  étoit plus confidérable ;  elle avoit plus  
 de  quatre  pieds  d epaiffeur  dans  les  bois,  tandis que dans  le  pays  
 découvert  elle n’avoit  que  deux pieds  au  plus.  Le  thermomètre fe  
 foutenoit toujours à dix-huit &  dix-neuf degrés au defTous de o. 
 Je  fus obligé de faire avec les mêmes chevaux  les poftes de Bol-  
 chaïa &  de Koumia :  la première n’eft éloignée de Kuzmodemiansk  
 que de deux lieues, & la derniere de deux & demie  : les deux poftes  
 n étant que des Hameaux compofés de  quatre ou cinq maifons, je  
 n’y  trouvai  ni chevaux  ni  Portillons ;  je  fus  encore obligé de me  
 fervir des mêmes jufqu’à Choumetri, où j’arrivai le  13  à dix heures  
 du matin. Les gens de ce Hameau  fe fauverent dans les bois à mon  
 arrivée  :  je me  trouvai  feul avec  le Maître  de la Pofte 3 nous parcourûmes  
 envain  ce  Hameau pour  avoir  des  chevaux :  je  ne vis  
 par-tout que des enfants au berceau  ;  les meres &  les filles  s’étoient  
 cachées,  dans  la  crainte  qu’on  ne  les  fit  fervir  de Portillons.  L e   
 Maître de la Pofte n avoit que  fix  chevaux 3 ainfi qu’il eft porté par  
 1 Ordonnance, pour l’uiàge des Couriers  de la C ou r , & les anciens  
 n etoient  pas  en  état de me  conduire  plus loin.  Quelques Payfans  
 paiTerent dans  leurs  traîneaux ; on  les arrêta,  en  leur  difant qu’on  
 avoit befoin  de  leurs chevaux ;  au-lieu de faire quelque réfiftance ,   
 ils abandonnèrent les traîneaux, avec tout ce qu’ils contenoient, &   
 fe fauverent dans  les  bois  :  on  en  prit  cependant quelques-uns qui  
 furent moins  prompts  a la courfe.  Je  demandai  la  raifon  de  leur  
 fuite  ,  Sc  de  cette  efpece  de  défordre  que  je  n'avois  pas  encore