fubfiftance de leurs enfants, ils fe font communément Moines • Si
en cas de concurrence pour un Evêché ou une Abbaye , le Moine
qui a été marié doit avoir la préférence. Quoique les enfants des
Prêtres ayent la liberté de prendre un état différent de celui de
l’Eglife, l’ufage a prévalu. Ils prennent prefque tous celui du Sacerdoce.
Les Evêques & les Moines jouiiïent en Rulïie de toutes les ri-
cheffes du Clergé. Les Prêtres font très pauvres, parce que les Cures
& les Deffertes font trop nombreufes : le cafuel fait le principal
revenu de ceux qui lès poflèdent.
Les Evêchés font à la nomination du Synode ; mais il eft nécef-
fairequ’elle foit confirmée par le Souverain. Les Evêques nomment
aux Abbayes & à toutes les places du bas Clergé : elles font amovibles
ï ainfi que celle des Abbés, & leur état dépend abfolument du
caprice de leur Evêque. Cette fubordination exceffive rend les Evêques
trop puiffants à l’égard du bas Clergé : les Moines & les Prêtres
ne forment plus qu’un Corps de vils Efclaves ; ils ne paroiffent
devant les Evêques qu’en fuppliants, & dans un état d’humiliation.
Les Prêtres ont peu de conlîdération dans la Société, & parmi les
Moines, qui font leurs Supérieurs. Us feraient encore plus malheureux
, fans leurs femmes, qui rendent les Moines plus humains.
L ’ignorance, l’ivrognerie & la débauche avec les femmes, font
l’appanage du Clergé de Ruifie. Les Evêques & les Prêtres font à ce
dernier égard les moins déréglés : les premiers, à caufe de leur âge-;
& les derniers, parce que leurs femmes leur font aimer lafageffe de
bonne heure : ils s’en dédommagent par la boiffon.
Us font du vin avec des herbes, quelques drogues, & de l’eau-de-
vie. Us ont de la bierre , & une efpeee d’hydromel, dont la bafe eft
la liqueur qui fuinte du bouleau au commencement de l’été. Leur
boiffon favorite eft l’eau-de-vie, & une autre liqueur qu’ils appellent
crematum. Cette derniere eft fi violente, que la première fois
que j’en bus , je crus avoir avalé de l’eau forte : elle m’avoit caufé
une fi grande irritation au palais, que je ne pouvois ni parler ni
cracher. Je renonçai au crematum pour la vie<
Un de ces Prélats, homme d’ailleurs fort aimable , me propofa
d’aller voir fa Bibliothèque , & il en prit auffi-tôt le chemin. Je le
füivis, très empreffé de connoître les Livres qu’il poffédoit : il me
cônduifit dans un bâtiment ifolé au milieu d’un jardin. Nous entrâmes
dans un corridor très propre & très éclairé : les murs étaient
percés de quantité de guichets d’un pied en quarré'. Le Prélat en
ouvrit les portes , & je reconnus des tonneaux à chaque guichet.
Ces tonneaux, remplis de différentes liqueurs, & entourés de glace *
oecupoient tout le bâtiment, & formoient fa Bibliothèque. Il avoit
fait bâtir au deffus de cette efpeee de glacière, un appartement des
plus agréables.
J’ai rencontré dans la Société, des Prêtres, & particulièrement
des Moines fi ivres, qu’on étoit obligé de les emporter fur des brancards
:■ leurs adtions & leurs difeours faifoient rougir les honnêtes-
gens. On ramaffe fouvent dans les rues des Eccléfiaftiques, hors
d’état de fe conduire chez eux.
Il ne faut cependant pas juger tout le Clergé de Ruifie d’après le
portrait défavantageux que j’en ai fait. J’ai connu dans mon voyage
des Eccléfiaftiques éclairés, & dont les moeurs étoient des plus honnêtes.
Je pourrais citer des Archimandrites & des Prêtres de Tcm
bolsk. Ils avoient dans l’Archevêque un modèle à imiter a cet égard.
Ce Prélat étoit à la vérité peu inftruit dans ce qui étoit étranger à
fon Miniftere : mais il ne laiffoit à délirer, quant à fon état, qu’un
enthoufiafme mieux dirigé.