revois, où j’étois, ni où j’allois: je ne fortis de cet état que par
1 affreufe idee qui fe prefenta d abord que j’étois abandonné par ceux
qui m accompagnoient. M étant jetté aufli-tôt en bas de mon traîneau
, je me trouvai feul : j appellai tous ceux qui m’accompagnoient,
chacun par ion nom : un profond filence régnoit autour de moi ;
leur mécontentement que j avois vu s accroître tous les jours, quelques
propos que j avois entendus, paroiiToient me confirmer dans
cette idee. O n fe perfuadera aifément quelle fut ma fituation: je me
voyois abandonne dans une nuit des plus obfcures, à quatorze cents
lieues de ma Patrie, au milieu des glaces & des neiges de la Sibérie,
ayant fous les yeux le tableau de la foif & de }a faim, dont j’allois
éprouver les horreurs : j ignorais même fi j’étois fur la route battue j
ce qui n’étoit pas vraifemblable.
Agite de toutes ces idées, je me remets,dans mon traîneau; j’en
defcends aufli-tôt; j y rentre le moment d’après, je prends mes deux
piftolets , & je fuis une route que je croyois entrevoir. Je m’en
écartai bientôt, & au premier pas je m’abîmai dans la neige jufqu’aux
çpaules > je m en retirai néanmoins après bien des eiforts;mais fi
accable de fatigue, que je reliai couché dans la même attitude, la
face fur la neige. Je malfieds au bout de quelque temps ; je tâte
autour de moi, & ne retrouve plus mes armes : elles étoient reliées
dans la neige ; je reconnois, & m’alfure que je fuis dans la même
route ; je regagne mon traîneau. J etois cependant toujours fi agité,
que je ne pus y relier long-temps ; je reprends bien-rôt le même
chemin : averti par 1 accident que je venois d’éprouver, de marcher
avec précaution, je vais plus lentement ; cette lenteur forcée ajoute
un nouveau tourment a ma fituation, Je me promenai ainfi une
partie de la nuit, toujours occupé de ma fituation, revenant de
temps en temps a mon traîneau, Quoiqu’expofé à un froid des plus
y ifs , j etois tout en eau, fans cependant marcher beaucoup ; enfin
en parcourant de nouveau cette route, j’apperçus une foible Jumiere
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à quelque diltance de moi; je reconnus en m’approchant, quêc’étoit
une maifon : j’y entrai aufli-tôt, & j’y trouvai mes gens quidormoient
du plus profond fommeil : ils étoient couchés par terre à côté de jeunes
filles : tout annonçoit qu’ils avoient befoin de repos ; j’éveillai
cependant mon Domeftique, & fortis promptement de cet endroit.
Il étoit d’ailleurs inutile qu’ilsfulTent témoins de la joie que j’éprou-
vois à les retrouver. O n apporta bien-tôt un flambeau ; je reconnus
qu’ils avoient laifle les autres traîneaux au bas du V illage, & qu’ils
avoient conduit le mien cent toifes au deflus. Ils m’apprirent enfuite
qu’accablés de fatigue, & me voyant endormi, ils avoient voulu fe
repofer quelque temps ; mais que féduits par la beauté de ces jeunes
filles, dont la plus âgée n’avoit que dix-fept ans, ils seraient arrêtés
plus long-temps qu’ils n’avoient cru : il fallut bien leur pardonner.
Je retrouvai mes piftolets, & partis à fept heures du matin, avec
les anciens chevaux. Je fis la pofte de Volva , & arrivai le z 8 à.
Berezowka. C e f t un Hameau fitué dans l’endroit le plus épais de la
foret. Comme il n etoit compofé que de trois maifons habitées par
des malheureux , je n’y trouvai point de chevaux ; je fus obligé dé
me fervir des mêmes jufqu’à Jouflineuwskoe, & par conféquent
pendant vingt-cinq lieues, quoique les chemins fuffent des plus
mauvais. Je trouvai cependant que j’avois fait deux lieues par heure,'
Je ne rencontrai dans cet efpace de vingt-cinq lieues que quelques
habitations : elles en méritoient à peine le nom, par le peu d’Habi-
tants qui y, étoient, & par la mifere dans laquelle ils vivoient. Je
voyageais toujours dans la même forêt, qui devenoit fans ceffe plus
épaiffe à mefure que javanais. Les chemins étoient fi étroits que les
traîneaux qui faifoient route oppoféè, y caufoient encore plus
d’embarras que par-tout ailleurs. Il y avoir une fi grande quantité
de neige, qu’on étoit obligé de prendre des précautions pour coucher
les traîneaux, fur le côté : on ne voyoit alors que la tête des
chevaux, qu’on faifoit fortir de la route pour laiffer paifer mes