commencent à différentes reprifes toutes les opérations dont j’ai
parlé : la plupart fe frottent encore le corps avec des oignons, pour
fuer davantage ; ils fortent tout en fueur de ces bains , & vont fe
jetter & fe rouler dans la neige par les froids les plus rigoureux,
éprouvant prefque dans le même inftant une chaleur de cinquante a
foixante degrés , & un froid de plus de vingt degrés, fans qu’il leur
arrive aucun accident.
Les Ruffes du premier état fe mettent au lit en fortant du bain,
& s’y repofent quelque temps. Il eft généralement reçu que les bains
font plus efficaces pour les gens du commun , qui de cette grande
chaleur paffent au grand froid , que pour ceux qui vont fe mettre
au lit.
Toute la Nation eft en général très fujette au fcorbut ; la vie
languiffante qu’ils mènent, le peu d’exercice qu’ils font, étant enfermés
tout l’hiver dans leurs poêles, occafionnent beaucoup d’humeurs
, & ils tranfpirent peu. Ces bains font donc pour eux un re-
medeindifpenfable: fans J’ufage qu’ils en font, ils feraient expofes a
bien des maladies. Cesétuvesproduifent une grande fermentation
dans le fang & les humeurs , & occafionnent de grandes évacuations
par la tranfpiration : le grand froid produit une répercuffion
dans ces humeurs portées vers la peaù, & rétablit l’uniffon &
l’équilibre. Que ces conduirons foient juftes ou non , il eft confiant
par le fait, que cesbains font très falutaires en Ruffie : ils feraient
certainement très utiles en Europe pour quantité de maladies, fur-
tout pour celles de la claffe des rhumatifmes. On ne connoît prefque
point en Ruffie ces maladies, & quantité d’Etrangers en ont été
guéris radicalement par le fecours des bains.
La veille démon départ de Solikamskaïa, je fus voir la Fonderie
de cuivre &c les Salines : la Fonderie eft fimée fur le petit ruiffeau
Talitza, à deux verfts de la Ville : elle eft compofée de trois fourneaux
; un feul irait en bon étaf. Je m'irais propofe d’aller voir
M.
M. Tourchenin, qui en eft le Directeur : mais il étoit abfent. Je
demandai Ion Subftitut ; il ne fut pas poffible de le trouver, malgré
toutes les recherches que je fis dans ces différents bâtiments. Je retournai
alors à la Fonderie, délirant avoir quelques éclairciffements-
fur différents objets : je m’adreffai aux Ouvriers qui me parurent les
plus intelligents ; mais je ne pus, malgré mon Interprète, ni entendre
les Ruffes, ni m’en faire entendre. Le Subftitut de M. le Directeur
arriva enfin ; mais de fort mauvaife humeur : il prit une pelle,
& fe mit à travailler ; je fus le làluer, & lui témoignai par mon
Interprète, mes regrets de ne l’avoir pas trouvé: je le priai en même-
temps de me faire voir les mines : Elles font au milieu de la cour ,
me dit-il, & me tourna le dos. C e difcours laconique me guérit de
l’envie de lier un plus long entretien avec M. le Subftitut. Je fus
voir cependant routes les mines, dont je pris des échantillons, que
je détaillerai à l’Article des Mines. Ce Rullè paroiffoit d’ailleurs
fortinftruit, à en juger par Je bon ordre qui régnoit dans cette
Fonderie. Il avoit un air intelligent & fpirituel ; il ne lui man-
quoit, à ce qu’il me parut, que d’avoir plus vécu avec les hommes,
moins avec les ours , & d’exifter dans un Pays libre. J’ai remarqué
dans tout le cours de mon voyage , que toutes les fois qu’on n’a
point de lettres de recommandation pour les Particuliers chargés de
la direction des Manufactures , on éprouve toujours des procédés
femblables, & des honnêtetés fans bornes dans le cas contraire. Ces
hommes font efclaves d’un Supérieur defpote, ignorants en général,
& méfiants à l’excès. Cette conduite eft dans l’ordre des chofes.
On trouve a quelque diftance de la Fonderie une Fabrique où
1 on met en oeuvre la plus grande partie du cuivre de cette Fonderie
t on 1 emploie a des uftenfiles de ménage, à des tabatières , &
autres ouvrages de ce genre ; ils font tous du travail le plus groffier.
Je reftai peu de temps dans cette Manufacture : j’y fus auffi mal
reçu qu’à la Fonderie,
Tome /, j j