de Lebel, faifoit à Pétersbourg un grand commerce de Bijouterie :
elle avoir repaffé en France pour y faire de nouveaux achats ; elle y
avoit établi en même-temps fa fille, quelle emmenoit en Rulfie
avec fon gendre, un Commis, &c une Servante. Ces Voyageurs
apprirent en arrivant à Varfovie, que des Voituriers RuiTes alloient
repartir pour Saint-Pétersbourg : ils fir ent par principe d’économie
un marché avec les RuiTes, pour les conduire en Ruifie. Arrivés à
Wegrow, la mere laiifa imprudemment appercevoir une partie de
fes bijoux. Les RuiTes formèrent auifi-tôt le projet de les affaffiner :
pour exécuter leur deffein fans témoins, ils propoferent à ces Voya-
geurs de partir à deux heures du matin, fous le prétexte que s’ils ne
partoient pas à cette heure , ils feroient obligés de traverfer la nuit
fuivante une riviere très dangereufe. Les Voyageurs fuivirent leur
confeil { les deux hommes étoient dans une voiture, & les trois
femmes dans l’autre, A quelques miües de Pirdeleiova, les RuiTes
avoient féparé les voitures pendant que le? Voyageurs dormoient. Ils
commencèrent par affaffiner les deux hommes, avec l’efpece de poignard
qu’ils portent toujours à leur ceinture. Us furent enfuite à la
voiture des femmes: la jeune mariée fut d’abord égorgée fans aucune
jréfiftance ; la mere fe défendit avec un couteau, bleffa même un de
pes malheureux. La Servante serait fauvée dans un bois Vpifin, où
elle fe cro.yoit en fureté ; ils l’y pourfuivirent ? & l’égorgerent de
même. Us ont par la fuite avoué tous ces faits. Après avoir affaffiné
toute cette famille, ils enfoncèrent les malles, prirent les effets les’
plus précieux, & continuèrent leur toute vers la Ruifie. Un Officier
au fervice de l’Impératrice Reine, qui alloit à Saint-Pétersbourg ,
paila dans cet endroit, quelques heures après cet affaifinat : il retourna
à Wegrow, & apprit aux Habitants ce trifte événement. Le Curé,
qui nous a rapporté tous ces faits, lui donna les renfeignemepts né-
ceffaires pour reconnoître ces Affaifins. Il repartit auifi-tôt, s’infor-
fuant à chaque Village de leur toute. Ils avoient fuivi la grande route
de la Pologne, fans doute pour arriver plutôt en Ruifie, où ils fe
croyoient en fureté ; mais cet Officier fit une fi grande diligence
qu’il les atteignit avant qu’ils puffent fortir de la Pologne. Ils étoient
chez des Juifs, où ils avoient dépofé leur butin. Malgré leur réfif--
tance & celle des Juifs, il les fit arrêter, en informa la République,
& continua fa route pour Pétersbourg.
Cet affaifinat fit d’autant plus de bruit dans le Pays, que les Polonois
font en général très hofpitaliers, & connoiffent peu ces crimes;
Ils ne nous en parloient qu’en Verfant des larmes, & fembloient
trouver de la confolation à raconter les plus petites aétions de ces infortunés
Voyageurs, leur honnêteté, leur bonté, & fur-tout la parfaite
union des jeunes mariés, dont la tendreffe mutuelle éclatoit à
chaque occafion.
• La Ruifie fut à peine informée de cet événement, qu’elle réclama
les RuiTes qui avoient commis ces meurtres. Les Polonois, & les
Etrangers qui étoient à Saint-Pétersbourg furent étonnés de cette
démarche. Cet affaifinat ayant été commis fur le territoire de Pologne
, la République avoit le droit de les punir. La Ruifie crut cependant
qu’il étoit de fa grandeur que ces fcélérats ne fuffent pas
pendus, & la Pologne en les rendant, donna une nouvelle preuve
de fa foibleile.
Nous arrivâmes le 19 à Bialiftok à dix heures du matin, par un
temps très froid ; le thermomètre étoit à onze degrés au deffous de o
dans la voiture. Nous avions toujours voyagé depuis Varfovie fur
une belle plaine ; elle étoit toute couverte de granité depuis Wegrow
jufqu a fept ou huit lieues de Bialiftok. Ces granités font de
différentes eipeces & de différentes couleurs ; on les trouve par-tout ^
depuis quatre pieds de diametre jufqu’à deux pouces , & communément
a quatre ou cinq pouces : la plupart ont une forme fphérique
qui annonce qu’ils ont été roulés dans les eaux.
Varfovie eft pavé en entier de ces granités : on n’en trouve point