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Un de mes amis, qui a été long-temps en Ruffie, où il s’occu-
poit beaucoup de cet Empire, a cru pouvoir établir que le nombre
de Tes Habitants étoit en 1760 de feize à dix-fept millions. M.
de Voltaire eftime le nombre des Habitants en 1747, à vingt
millions, & à vingt-quatre, en y comprenant l’Ukrairie, la Sibérie
, & les Provinces conquifes ( 1 ). Mais ce célébré Ecrivain
diminue confidérablement cette population dans la même page
puifqu’il fuppofe que l'Empire de Ruffie eft prefque auffi peuplé
que la France. Or tout le monde fait que ce Royaume ne contient
pas plus de vingt millions d ames ; & en effet, M. de Voltaire s’explique
ainfi dans fon premier Calcul : » La Ruffie contenoit en
» 1747 fix millions fix cents quarante mille mâles payant la Capi-
» tation. Dans ce dénombrement les enfants & les vieillards font
» comptés (2) ; mais les filles & les femmes ne le font point, non
» plus que les garçons qui naiffent depuis l’établiffement d’un ca-
»daitre jufqua la confection d’un autre cadaftre. Triplez feule-
»ment le nombre des têtes taillables, en y comprenant les femmes
» & les filles, vous trouverez près de vingt millions d’ames ». Sans
y comprendre les Habitants des Provinces qui ne payent pas de
Capitation, M. de Voltaire les fuppofe de quatre millions environ:
mais en triplant les fix millions fix cents quarante mille mâles.
On fait entrer dans ce calcul le nombre des garçons qui naiffent
d’un cadaftre à l’autre , & on n’a pas égard au nombre des perfonnes
qui meurent, nombre qui eft en Ruffie beaucoup plus grand que
celui des perfonnes qui naiffent ; puifque j’ai fait voir que ce Pays fe
dépeuple tous les jours (3 }. Il parole qu’il fuifit de doublet le nomr
(1) M. de V oltaire donne l’état de la population, en Ruffie, Tome I , pages 5,1 & iiii-
vantes : i l l’a extrait du dénombrement fair en 1747.
(x) Il paroît par ce dénombrement que tous les mâles payent la Capitation. Il y a eu des
Règlements nouveaux q u i en. exemptent tous ceux qui n’ont pas acquis l’âge de dix an?*,
( i) V oyez page 24**
bre des têtes taillables , pour avoir en 1747 le nombre exadt des
Habitants : on aura alors treize millions d’Habitants en nombre
rond , & dix-fept millions, en y comprenant ceux des Provinces
qui ne payent pas la Capitation. Il eft vrai que je fuppofe dans ce
nouveau calcul, que le nombre des femmes & des filles eft égal à
celui des hommes & des garçons. Plufieurs perfonnes font cependant
perfuadées que celui des femmes & des filles eft communément
plus grand (1). Mais je fuppofe auffi que dans l’intervalle d’un cadaftre
à l’autre, le nombre des enfants qui naiffent eft égal au nombre
des perfonnes qui meurent, tandis qu’il eft confiant par tout ce
qui a été dit , que celui des morts eft beaucoup plus grand. Il paroît
donc qu’on doit fuppofer en 1747 le nombre des Habitants de
toute la Ruffie , de dix-fept [millions. Le célébré Ecrivain que j’ai
cité paroît avoir fait les obfervations que je viens de rapporter. En
fuppofant à la Ruffie prefque autant d’Habitants qu a la France , il
eft aifé de conclure , d’après ces différents calculs, que le nombre
des Elabitants de la Ruffie en 1760 étoit au deffous de dix-fept millions
, en y comprenant tous les mâles, les femmes , les filles , &
tous les non taillables des différentes Provinces. Quelque fuppofi-
tion que l’on faffe , ce nombre d’Habitants n’ira jamais à dix-neuf
millions en 1760 , qu’en outrant la population.
Pierre Ier tenta tous les moyens d’étendre le commerce de fon
Empire : il fit des Traités de Commerce avec la Chine, la Perfe ,
& avec différentes Puiffances de l’Europe. La Ville de Tobolsk,
Capitale de la Sibérie, étoit le centre du commerce de la Chine : il
fe faifoit par le moyen des Caravanes qui partoient de Mofcou ;
elles employoient trois années pour l’allée & le retour. La mau-
vaife foi des Marchands Ruilès & des Chinois le rendit d’abord
langùiffant ; & les différends qui iè font élevés en divers temps entre
(1) D ’autres perionnes croient qîie iç nombredes hommes & des garçons eft plus grand»