la fête publique ; seulement observez-vous ,
et que chacun prépare en silence chez lui,
des fagots et des flambeaux. Puis, quand tout
sera rentré dans le repos chez moi, pendant
que je veillerai sur mon mari jusqu’à ce qu’il
soit endormi de lassitude et de vin, pour lui
ôter la possibilité de donner son signal, que
chacun vienne entasser, sans bruit, ses fagots
autour de ma maison, et attendez que je vous
dise d’y mettre le feu.
Tout se passa comme elle l’avait ordonné.
Quand Gycia vit son mari et ses gens cuvant
leur vin, ayant ordonné de fermer toutes les
portes, elle sortit avec ses servantes qui avaient
réuni à la hâte les joyaux, l’or et les objets les
plus pi'écieux de leur maîtresse. Tout ce qui
resta fut brûlé; les traîtres qui cherchèrent à
échapper, furent massacrés.
Les citoyens de Cherson voulurent reconstruire
la maison de Gycia, mais elle s’y opposa;
elle fit, au contraire, amonceler les immondices,
les déblais et les fumiers sur cette place
souillée par la trahison; on l’appela le Guet-
apens, la Cachette de Lamachus (Xapayav axoitr).
Ce monument, plus indestructible que ceux en
marbre et en bronze, est encore là, et sans connaître
l’histoire de Gycia , on est étonné de
trouver ainsi les déblais de toute la ville, amoncelés
sur le haut de la falaise qui borde les Sôses,
dans une des plus belles expositions de Cherson.
En passant par la petite porte qui est voisine , on
reconnaît fort bien la place de débarquement
des Sôses, qui était hors de l’enceinte des mu-
1 railles ; les traces du môle ou embarcadère en
grands quartiers de ro c , sont encore visibles
sous le niveau des flots.
Les Chersonésiens érigèrent deux statues d’airain
sur la place publique en l’honneur de Gycia
: dans l’une, elle était représentée modeste
et soigneusement vêtue, recevant les trois délégués
de la ville ; dans l’autre , elle paraissait
vêtue d’habits guerriers et vengeant les citoyens
trahis. Du temps de Constantin Porphyrogé-
nète, chacun se faisait un devoir d’entretenir
propre et brillante l’inscription qui rappelait
les faits que la reconnaissance y avait gravés (1).
(1) Le marquis de Castelnau, dans son Histoire de la
Nouvelle-Rus ;ne, I, 109, se moque du récit de l’empereur
Constantin Porphyrogénète. On peut douter de quelques
détails ; mais il me semble que les monuments que l’empereur
appelle en témoignage, et qui existaient de son
temps, sont une preuve de la vérité des faits principaux,
la conspiration et son déjouement. Siestrzencewicz, dans
son Histoire de la Tauride, 1, 278, n’en omet pas le récit,
tout en exprimant ses doutes.