je ne saurais où le placer, si ce n’est sur l’emplacement
du monastère voisin. Car nous avons ici
encore une nouvelle preuve que partout, lors
même qu’un peuple reconnaît que d’anciennes
croyances qui lui ont été transmises par ses ancêtres
sont erronées, il cherche encore à en
•sanctifier le souvenir. On se défait avec tant de
peines d’antiques mythes qui sont enlacés avec
la gloire, avec l’origine des nations. Les noms
de la déesse taure, de Diane, d’Iphigénie,
iïOreste, s’étaient confondus dans le culte des
Chersonésiens dont ils étaient les patrons avec
Hercule, et quand le christianisme succéda au
paganisme, ce fut sous le nom du fameux saint
George qu’on consacra leur souvenir. Saint
George succéda à Iphigénie, à Oreste, à Hercule.
Je me rappellerai toujours l’effet magique que
produisit sur moi la découverte de ce monastère.
Après avoir quitté Balaklava et grimpé par la
vallée qu’occupe le village de Karany, nous
avions laissé à droite, dans les rochers, une
série de grottes antiques (1); puis, arrivés au
sommet d’un vaste plateau, nous avions ete
étonnés de trouver la sécheresse et la monotonie
de la steppe nue de la Tauride.
Distraits d’abord par les ruines du temple
(1) Pallas, Voy. en Crimée, II, p. 85 et 109.
d’Iphigénie , par une gorge profonde, ouverte
dans des rochers à pic dépassés par la mer brillante,
nous nous demandions toujours où était
le monastère sur cette plaine rase. Voilà bien la
pointe de Fanary et l’emplacement de Sévastopol
dans le lointain ;• nous voyons aussi au bord du
rocher une petite chapelle, vers laquelle nous
avançons machinalement. 0 merveille! à peine
nous sommes-nous penchés en tremblant sur
cette corniche, pour mesurer de l’oeil l’abîme qui
s’ouvre devant nous, qu’au lieu d’un précipice
affreux, rongé par une mer sans fond, c’est une
église, ce sont des habitations, des terrasses
appuyées les unes sur les autres , des jardins, de
beaux arbres, de vieux peupliers arrosés d’une
belle source, sur lesquels nous planons. Tout
cela est à 5o pieds au-dessous de nous, sur une
petite oasis suspendue comme par enchantement
à quelques centaines de pieds au-dessus de
la mer, au milieu d’une enceinte de roches
noires, basaltiques, majestueusement élancées ,
qui tranchent d’autant plus avec la verdure dans
laquelle le monastère semble se cacher. Le
fragment de jet sphérique dont j ’ai donné le dessin
, a l’air d’un puissant contrefort qui soutient
cet entassement de terrasses et de roches.
Une porte taillée dans le rocher et une rampe
d’escalier sont la seule entrée et le seul chemin