filets ; si le célèbre Forum des Romains est aujourd’hui
le champ des vaches, pourquoi voulez
vous que les 5o,ooo habitants de Cherson
n’aient pas cédé aux Russes leurs places, leurs
rues populeuses, leurs foyers, pour en faire un
cimetière ? Voyez-vous dans le coin de Cherson,
auprès du grand port vide, vers cette place déserte,
cette ville des morts qui s’accroît chaque
jour, et ces pierres souillées qui s’entassent sur
les tombes ?
Et quelle main est venue ainsi accomplir les
décrets de la Providence ? Quelle main a renversé
l’église qui avait succédé aux autels
d’Iphigénie?... Cette main, c’est celle d’un
payen, d’un Litvanien, petit-fils d’un paysan
d’Eiragola, bourgade qu’une forêt sépare de la
haute colline de J^iélona, toujours embrasée
par les feux de Perkoun, le dieu du tonnerre.
Après 2000 ans d’existence, il a fallu qu’une
main toute puissante amenât du fond des forêts
de Litvanie, le fondateur de Vilna, Gédimine,
l’ancêtre des Jagellons, l’un des héros du Nord,
avec ses belliquenx Litvaniens, pour faire rentrer
la grande, la riche Cherson dans le néant.
Telles sont les voies de la providence. Cherson
mourut. Vilna nacquit (1).
(1) Gédimine, grand-duc de Litvanie, et Olgherd, son
fils et successeur, firent des invasions en Crimée, et dé-
Après le pillage des Litvaniens, Cherson ne
fut plus qu’une ombre de ville, et quand les
Turcs, en i 475? prirent possession des villes
génoises de la Crimée, ils ne trouvèrent que des
édifices vides, des églises désertes, dont ils enlevèrent
les plus belles colonnes en marbre et
en serpentine, et les plus grandes pierres, pour
les transporter par mer à Constantinople, où
elles ont été employées à différentes constructions
privées et publiques. Dès-lors la ruine de
Cherson fut consommée.
Mais certes on ne peut trop s’étonner du cercle
des mystérieux décrets de la Providence. Le
peuple qui a achevé la destruction de Cherson
est précisément celui qui date sa religion et la
première étincelle de sa civilisation chrétienne
de cette ville, où son grand-duc Wladimir reçat
le baptême. C’est à Cherson qu’eut lieu le premier
mariage chrétien de ses grands-ducs; c’est
Cherson qui lui envoya ses premiers apôtres.
Il est vraiment étonnant que la nation qui vint à
Cherson se mettre sous l’égide du grand St-
Georges qui plane sur toutes les Russies, soit
celle qui ait été chargée d’effacer jusqu’aux dernières
traces de ce sol classique, celle qui s’acharne
sur ces ruines, qu’elle devrait respecter.
truisirent presqu’enfièrement Cherson. Siestrzencewicz,
Histoire de la Tauride, t. I, p. 3i 4*