Gycia, sous la condition expresse que jamais il
ne retournerait à Panticapée pour visiter son
père, pas même à l’heure de sa mort.
Deux ans après, Lamachus mourut. Gycia,
l’année suivante, voulut, selon l’usage général,
célébrer l’anniversaire de la mort de son père,
et ses richesses étaient assez grandes pour qu’elle
pût fournir au peuple entier de Cherson, le vin,
le pain, l’huile, la viande, les volailles et les
poissons nécessaires au festin donné en son honneur.
Elle promit de renouveler ses dons chaque
année.
Le fils d’Assandre, profondément chagriné
d’une pareille prodigalité, fit semblant de la
louer de tant d’amour filial, mais se promit
bien de s’en venger, en profitant de l ’occasion
pour ourdir un complot contre la ville. Il écrivit
à son père de lui envoyer de temps en temps
une dizaine de jeunes Bosporiens forts et robustes
, qu’il introduirait dans la ville, sous le
prétexte d’une visite.
Débarquant au port des Symboles (Balaklava)
où ils laissaient leur vaisseau, ils venaient à
pied à Cherson, y passaient quelques jours,
puis faisant semblant de s’en retourner, ils passaient
vers le soir la grande porte, traversaient
la Chersonèse, et quand d’épaisses ténèbres recouvraient
la contrée, ils revenaient sur leurs
pas, guidés par un affidé du fils d’Assandre, qui
les ramenait par des chemins détournés, au Grand
Liman (baie de Sévastopol) où ils trouvaient un
petit bateau qui les ramenait sans bruit au port
des Sôses, où un autre affidé guettait leur arrivée
et leur ouvrait la petite porte, à l’insu de
tout le monde. Cachés dans la vaste maison de
Lamachus, ils devaient y attendre le nouvel
anniversaire pour s’emparer de la ville en massacrant
le peuple enseveli dans le lourd sommeil
que procure le vin et la bonne chère.
Un heureux hasard fit découvrir toute la trahison.
La veille des fêtes, une des filles de
chambre de Gycia, ayant désobéi à sa maîtresse,
fut reléguée par elle, loin de ses yeux, dans une
chambre écartée sous laquelle les Bosporiens
étaient précisément cachés. Un fuseau qui roula
dans un trou près de la paroi, engagea la jeune
fille à soulever un carreau du parquet pour l’en
retirer. Elle vit les Bosporiens réunis , et s’empressa
de faire venir Gycia qui , lui pardonnant
sa faute, lui enjoignit de garder le secret, pendant
qu’elle allait tout préparer pour prévenir
les traîtres.
Elle convoqua en grand secret trois notables
délégués par la ville, et leur ayant fait jurer que
pour récompense de son dévouement, on l’ensevelirait
dans la ville , contre l’usage établi,
elle leur raconta l’épouvantable nouvelle : mais
ne craignez rien, leur dit-elle, célébrez gaiement
VI. n