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règne un désordre incroyable parmi ces roches
où des amas de poudingue à cailloüx énormes
alternent avec des assises de marbre et de grès i
le marbre termine celte série bizarre qui, par
sa confusion, a l’air d’un monde renversé.
Bientôt du haut, de la montagne aride, je m’écrie
étonné :■ quelles sont ces tours blanches,
penchées sur la cime des rocs, qui s’inclinent
sur la mer, ces mers qui bordent des précipices?
Quel est ce lac brillant enclavé de roches escarpées?
Quel est ce promontoire rouge qui se réfléchit
dans les ondes? Serait-ce Balaklava ? Je ne
vois que des ruines : où est la ville ? En contemplant
avec admiration ce paysage romantique,
je descendais toujours'cherchant des yeux cette
ville dont il ne paraissait aucun vestige. Prenez
à gauche, me dit mon guide, lorsque je venais
de franchir avec anxiété des roches déchirées
qui menaçaient de s’écrouler, et comme par
féerie je me trouve dans Balaklava qui, rangé sur
la bande étroite qui reste entre la montagne où
sont les ruines et la baie tranquille, ne peut se
voir que quand on est dedans.'
« Nous approchons d’un admirable port, dit
Ulysse (ch. 10, v, 87 de l’Odyssée); il est formé
par deux vastes rochers qui, s’élevant aux nues,
s’avancent au sein des ondes, et paraissent courir
pour s’embrasser, në laissant qu’un étroit,
passage. Tous les vaisseaux de mes compagnons
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se précipitent dans celte enceinte profonde où,
l’un à côté de l’autre, ils sont attachés par des
liens. Jamais il ne-s’y élève le moindre flot; la
surface des eaux y est unie; partout y brille la
sérénité.
« Seul je refuse d’entrer dans ce port ; liant
mon vaisseau à un rocher escarpé, j ’y monte et
je laisse érrer au loin mes regards. Je n’aperçois
aucune trace de labeur, ni des boeufs, ni des
.hommes ; Seulement je, vois s'élever dans les
airs des tourbillons de fumée. »
Si j ’avais une description à donner de la baie
de Balaklava, à peine pourrais-je en faire un tableau
plus vrai et plus clair que celui que je
viens d’emprunter au vieil Homère. Les deux
hauts rochers qui s’avancent au sein des ondes
et paraissent courir pour s’embrasser, sont là et
nç laissent qu’un étroit passage tourné vers le
midi, qui permet à peine à deux vaisseaux de
s’y rencontrer : sa largeur est de 800 pieds, et
sa plus grande profondeur de 70 à 100 toises (1).
L’eau en paraît noire quand on s’y baigne. Au-
delà du passage étroit, le port s’élargit un peu
et sa largeur dépasse deux cents toises, tandis
(1) Les sondes üe la baie de Balaklava, dans le plan de
la Chersoroese Héracléotique, sont erronées : il faut multiplier
chacun de ces chiffres par 6, pour avoir la profondeur
en toises.