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rent avec une précipitation, un bruit et un
effroÿ que je ne puis peindre ; tandis que
nous, aussi étourdis qu’eux de la rencontre
, et nullement préparés à l’aventure ,
nous les baissâmes fuir , sans songer seulement
à leur tirer une balle.
Quoique le Draay fut à sec, il avoit pourtant
quelques lagunes dans certains bas-
fonds, et il étoit garni de beaux arbres.
J’y cherchai un campement, tant pour nous
reposer, que pour'nous garantir d’un violent
vent de nord, qui, en nous aveuglant
par une pluie de sable, nous- étouffoit par-
une chaleur brûlante. A midi, le thermomètre
de Farenheit rnarquoit cent dix dé-
grés ; et le so ir, au coucher du soleil, il
étoit encore à quatre-vingt-dix.
Malgré le vent et la chaleur, j ’allai chercher
fortune dans les arbres du rivage , et
j ’y trouvai effectivement un magnifique et
superbe aigle, d’espèce nouvelle, dont j ’eus
le bonheur de tuer le mâle et la femelle g
de mes deux coups de fusil.
D é jà , sur les bords de l’Orange, j ’en
avois vu de pareils ; mais ils ne s’étoient
point laissés approcher.
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e n A f r i q u e. - 3 j 5
J’ai nommé cet aigle griffard, parce
qu’il a les serres plus fortes et plus acérées
que tous les autres aigles connus. Aussi
fort que l ’aigle royal, il a , pour caractère
distinctif, une espèce de huppe pendante
sur l ’occiput ; le tarse est couvert d’un fin
duvet dans doute sa longueur, et ses jambes
sont dépourvues de ces longues plumes,
que , chez tous les oiseaux de proie,
on nomme culotte ; toute la partie antérieu-
fe de son corps est d’un beau blanc, et le
manteau d’un brun clair. J’étois à près de
trois lieues de mon camp , quand je tuai
ces deux charmans oiseaux, et j ’y arrivai
excédé de fatigue de les avoir portés ; car
ils ne pesoient ensemble guère moins de
trente livres.
Dans l ’après-dinée, pendant que j ’étois
occupé à écorcher et préparer mes deux
aigles, on vint m’apprendre que nos chevaux
étoient perdus. Un vieux Caminou-
quois, âgé de soixante ans, s’étoit chargé
de les garder; mais le vieillard, accablé
par l ’extrême chaleur, et plus encore peut-
être par les fatigues d’un voyage au-dessns
de ses forces, s’étoit endormi ; et à son re-
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