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bords ; et les arbres ne paroissoiënt point
encore ; seulement nous découvrions devant
nous lès énormes montagnes aux pieds
desquelles on me dit que ce fleuve cou-
loit; mais leur aspect nud et brûlé n’an-
nonçoit guère ce grand .changement sur
lequel je m’étois reposé.
Mais bientôt j ’entendis au nord-ouest le
mugissement des flots. Ce bruit qui annoii-
çoit notre salut fit tressaillir mon coeur d’âl-
légresse, et involontairement mes gens
poussèrent tous un cri de joie. Nos tournions
alloient donc finir une seconde fois !
J’allois donc voir enfin une rivière ! car
depuis celle des éléphans je n’avois trouvé
que des torrens, ou desséchés, ou qui ne
-cofitenoient que quelques amas d’une eau
croupie et boueuse. Pour jouir plutôt d’un
spectacle si doux , je montai à cheval avec
mon' Klaas, et courus vers le lieu qu’in-
diquoit le bruit. Tous ceux de mes gens
qui n’étoient pas occupés aux voitures Se
mirent à courir avec moi ; mon singe, mes
chiens , tous ceux enfin de mes animauic
qui étoient libres, partirent en même tems.
Nous galoppions tous pêle-mêle j c’étoit à
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qui arriveroit le premier. Cependant je me
laissois précéder de quelques pas par mes
bêtes,, bien sûr que leur odorat et leur instinct
me guideroient par la route la plus
courte. Les aboiemens, les cris, la joie et
les transports de ce groupe galoppant res-
sembloientplus à une bacchanale qu’à une
caravane de voyageurs affamés. Je jouis-
sois, à moi seu l, du plaisir de tous. Mille
sentimens confus m’agitoient à la fois., et
mes yeux involontairement se remplissoient
de larmes. Peu d’hommes sur la terre ont
eu à souffrir des peines pareilles aux miennes
5 mais peu d’hommes aussi ont éprouvé
des plaisirs aussi vifs.
Mon premier mouvement, en arrivant à
l ’e au , fût de m’y jetler aussitôt , afin de
me rafraîchir, en même tems que je boi-
rois. C’étoit satisfaire à la fois deux besoins
très-pressans 5 et mes gens, ainsi qiie
tous mes animaux, en firent autant.
Le fleuve offroit un coup-d’oeil majestueux
5 et en. effet sa largeur, dans les endroits
de son cours les plus resserrés, étoit
Celle qu’a la Seine lorsqu’elle entre dans
Paris. Cependant , à juger de sa hauteur
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