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de deux lions, que nous jugeâmes mâle et
femelle, et q u i, par conséquent J étoient
fixés dans ce canton. Le voisinage de ces
deux terribles hôtes nous donnoit lieu de
craindre quelque attaque dans la nuit, et
nous obligeoxt à redoubler de surveillance;
et sur-tout à tenir, autour de mori camp,
de grands feux allumés pour les écarter.
Mais la nuit approchoit, et peut-être n’étoit
il pas aisé de trouver promptement
la quantité de bois sec qu’exigeoient ces
feux.
Un heureux hasard nous enfouruit par-
delà nos besoins. Le fleuve, dans ses dé-
bordemens, avoit entraîné beaucoup d’arbres
de toute grandeur et de toute espèce.
A deux cents pas de nous étoit un énorme
mimosa qui en avoit arrêté un grand nombre.
Ils s’y étoient amonGelés en pile j et
formoient un bûcher naturel et d’une immense
grosseur.
Mes gens , sans se donner la peine de
prendre ce qui leur etoit nécessaire1,-ly mirent
le feu ; et en un instant, nous eûmes
un incendie, qui dura non-seulement pendant
la nuit entière,, mais fort ’avant enb
n A f r i q u e . u3q
core dans la matinée du lendemain. Le
lieu, à une grande distance, fut éclairé
comme en plein jour. Mais 1 embrasement
étoit si violent, et les flammes, parla hauteur
à laquelle elles s’elevoient, lançoient
au loin une telle quantité d’étincelles et de
charbons, que mon camp, quoiqu’à deux
cents pas, ne fut pas à l ’abri de cette pluie
de feu , et qu’il fallut même prendre des
précautions pour garantir mes poudres.
Les arbres, à la ronde, furent tous brûlés
sur pied. Ceux même qui étoient à plus de
cinquante pa s , eurent leurs feuilles grillées.
Il est vrai que l’éclat de l’incendie
écarta les lions ; mais il fit disparoître aussi
les oiseaux, et le matin nous n’en vîmes
plus un seul, quoique, pendant la nuit ,
nous en eussions entendu voler beaucoup,
et que plusieurs même, trompés et aveuglés
par la lueur du feu , fussent venus se
jeter dans les flammes ou périr dans la fumée.
Ces feux dévastateurs , dont j’ai soin
vent couvert des plaines immenses , ces
forêts embrasées par mo i, pour ouvrir un
passage à ma caravane, ou bien pour écarter
les animaux féroces ; cette puissance