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tion s’égayer aux dépens de Schoenmakeïy
et le tourner en ridicule sur son ancien
état de matelot. Tel est le préjugé des colons
africains : regardés au Cap comme des
paysans, eux-mêine£ regardent avec mépris
les subalternes qui sont au service delà
Compagnie.
Schoenmaker paroissûit affecté des lourdes
ironies du chasseur ; cependant il se
contenoit, et répondoit a. ses ¡sarcasmes
skns aigreur et sans eôlèré. Mais Bernfry
s’étant avisé de - lui lancer aussi son épi-
gramme , cet homme, que jusques-là j ’a-*
vois toujours vu si 'doux et si paisible
sentit tous ses ressertimens se ranimer à'
la fois. Il entra dans une colère effroyable
, qu’il ne me fut pas possible d’arrêter ;
et avec cette violence qu’a la rage quand
elle ne se possède plus, il reprocha au
railleur l ’assassinat de plusieurs Nama-;
quois qu’il avoit tués-pounvoler leurs bestiaux
, celui d’une jeune Hottentote, qui,
ayant été la victime de sa lubricité, l ’étoit;
devenue de sa fureur jalouse ; et d’autres
horreurs pareilles dont le récit me glaçoit
d’effroi. Bernfry^ sans désavouer ces aboe
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minatîons, ne répondoit à son ennemi
qu’avec les expressions d’une rage égale à
la sienne. Enfin, d’une main le saisissant
au collet, et de l ’autre prenant son fusil,
sors , lui d it-il, infâme matelot ; tu verras
qu’un coup de poudre de plus ne me coûtera
rien pour te joindre h ceux dont tu
parles.
Ils sortirent, en effet, tous d eu x , déterminés
à se battre; et dans la colère où ils
étoient, je ne doute point qu’un des deux,
et tous deux peut-être, n’eussent péris. Je
me jettai entre eux pour les séparer. Pinard
s’y opposoit, et me crioit de les laisser
se battre; c’eût été pour lüi un spectacle
agréable. Schoenmaker lui-même résis-
toit à mes efforts. Enfin, cependant je vins
à bout de l’arracher à son ennemi; et poussant
celui-ci hors de ma tente, je lui dis
de se retirer.
Cette aventure m’affecta extrêmement ;
j’y entrevoyois des suites très-facheuses.,
et ne pus dormir de toute la nuit. Si
Bernfry avoit eu un premier , tort dans la
querelle, en plaisantant son adversaire ,
celui-ci s’en étoit donné bien d’autres par