
88 V O Y A G E
dant. Les malheureux qui y sont relégués
doivent délivrer par jour une certaine quantité
de pierres à chaux qu’ils déterrent. Le
reste du t em p s ils pèchent ou bien ils cultivent
de petits jardins; ce qui leur procure
du tabac ou quelques autres douceurs. On
ne peut vo ir , sans en être étonné, combien
dans cet endroit tontes les espèces de légumes
prennent de vigueur. Les choux-
fleurs sur-tout y sont des monstres en grosseur
; éleves dans le sable, leur délicatesse
surpasse encore leur énormité. I l y croît
aussi de petites figues violettes', d’un parfum
exquis. Les puits fournissent de l’eau aussi
bonne que celle du Cap, phénomène assez
extraordinaire pour une île aussi peu étendue
et presqn’à fleur de la mer.
J’y ai vu beaucoup de serpens noirs, de
quatre à cinq pieds de lo n g , mais qui ne
sont pas dangereux. On y trouve en abondance
de la perdrix et plus encore de la
caille ; j’ai quelquefois tiré cinquante à
soixante de ces oiseaux dans une matinée.
Je dois ici rapporter une observation qui
intéresse l ’histoire naturelle. Les cailles de
l ’île Roben et celles des terres du Cap n’offrent
absolument, qu’une seule et même
E N A F R I Q U E. 89
espèce, sans aucune différence qui puisse
rendre mon assertion même douteuse. Cependant
la caille est au Cap un oiseau de
passage tout comme en Europe ; ce fait est
reconnu de tout le monde ; e t, quoiqu’il 11’y
ait que deux lieues de l’île Roben à la terre
ferme, il est également constant que jamais
il n’y a d’émigration de ces oiseaux. Ils y
sont toujours aussi abondans en toute saison.
Si j’ajoute encore que les cailles d’Europe
sont absolument la même espèce que
celle-ci, ne faut-il pas en conclure que la
caille d’Europe ne passe point la m e r ,
comme on l ’a prétendu jusqu’à présent ?
Quelques voyageurs assurent à la vérité en
avoir rencontré en mer; mais cela ne décide
point la question; car, à plus de soixante et
dix lieues des côtes, j’ai tiré sur les vergues
de mon navire des étourneaux, des pinsons,
des linottes , une chouette. Tous ces oiseaux,
qu’on sait très-bien ne point passer la mer,
avoient été sans doute déroutés par quel-
qu’ouragan, quelque tempête violente, et je
croirai toujours qu’il en étoit ainsi des cailles
qui ont été rencontrées, jusqu?à ce que cette
partie de l’histoire des oiseaux ait reçu des
éclaircissemens plus positifs.