leur restoit qu’un parti qu’elles saisirent
avec une adresse dont je fus étonné; elles
connoissoient tout l’ascendant qu’avoit sur
moi la belle Narina. Sa mère lui lança son
tablier et son kros; elle s’habilla dans l’eau,
et vint bientôt à moi de l ’air le plus tendre et
le plus ingénu, me conjurer de me retirer
quelques momens à l’écart pour donner le
tgmps à ces femmes de reprendre leurs vê-
temens; je feignis d’y mettre un peu de résistance
; mais, me prenant par la main,
Narina réussit à m’entraîner avec elle jusqu’à
ce qu’étant hors de vue elle put crier à
ses compagnes qu’elles pouvoient sortir de
l ’eau et s’habiller.
Cependant nous cheminions vers ma
tente, de plus en plus familiarisés, Narina
folâtrant aussi librement avec moi qu’elle
l ’eût fait avec son frère, ses parens, ses
compagnes; elle me plaisantait à sa manière,
me tourmentait d’une façon très-piquante,
tantôt luttant de force avec moi pour se débarrasser
de mes bras, tantôt franchissant,
pour me fuir , les taillis, les ravines, les
plus larges fossés ; jeune et vigoureux alors,
depuis long-temps rompu aux travaux les
plus pénibles, et menant une vie plus dure
mille fois que ces sauvages même, j’eusse
défié nos Hercules d’Europe ; mais soit que
l ’habitude et un reste de galanterie me fissent
une loi de n’employer envers la jeune
Narina que la moitié de mes forces, soit
qu’en effet elle eût plus d’adresse et les mou-
vemens plus souples, elle m’auroit contraint
à lui demander grâce, et je pliois sous ses
efforts ; mais sur - tout lorsqu’échappée à
mes agaceries, et mettant entre nous un peu
d intervalle, elle me défioit à la course et
venoit à s’élancer, avec quelle vitesse elle
parcouroit les chemins, et par cent détours
revenoit se cacher à la lisière du bois et me
surprenoit au passage !
, Différens oiseaux que je voyois voltiger
dans la forêt me forçoient à tous momens
d’y rentrer : c’étoit le seul moyen qui me
restât d’appaiser les fougues de ma jeune
sauvage ; rien n’égaloit le plaisir qu’elle
éprouvoit à me vo ir tirer des coups de fusil
; je ne les lui épargnois pas ; et dans cette
seule course j ’abattis une vingtaine d’oiseaux.
Je n’avois point amené de chien;
Narina en faisoit aisément l ’office, saisissoit
admirablement bien les pièces qui n’étoient
que blessees. Cependant je commençois à