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animal sont extrêmement foibles, et que s’il a reçu
une rame très-étendue, il est privé de la force nécessaire
pour la remuer avec vitesse, et-pour l’agiter dans
le- sens le plus propre à faciliter ses évolutions. La
dissection des muscles du glanis n’indique aucune raison
d’admettre cette organisation vicieuse. C’est dans
son instinct qu’il faut chercher la cause du peu de
mouvement qu’il se donne. S’il ne change pas fréquemment
et promptement de place, il n’en a pas moins
reçu les organes nécessaires pour se transporter avec
célérité d’un endroit à un autre ; mais il n’a ni le
besoin , ni par conséquent la volonté , de faire usage de
sa vigueur et de ses instrumens de natation. 11 vit de
proie ; mais il ne poursuit pas ses victimes. Il préfère
la ruse à la violence; il se place en embuscade; il se
retire dans des creux , au-dessous des planches, des
poteaux et des autres bois pourris qui peuvent border
les rivages des fleuves qu’il fréquente; il se couvre de
limon; il épie avec patience les poissons dont il veut
se nourrir. La couleur obscure de sa peau empêche
qu’on ne le distingué aisément au milieu de la vase
dans laquelle il se couche. Ses longs barbillons, auxquels
il donne des mouvemens semblables à ceux des
vers, attirent les animaux imprudens qu’il cherche à
dévorer, et qu'il engloutit d’autant plus aisément
qu’il •lient presque toujours sa bouche béante, et
que l’ouverture de sa gueule est tournée vers le
haut.
D E S P O I S S O N S . 67
Il ne quitte que pendant un mois ou deux le fond
des rivières où il a établi sa pêche : c’est ordinairement
vers le printemps qu’il se montre de temps en temps
à la surface de l’eau; et c’est dans cette même saison
qu’il dépose près des rives, ou ses oeufs, ou le suc
prolifique qui doit les féconder. On a remarqué qu’il
n’alloit pondre ou arroser ses oeufs que vers le milieu
de la nuit, soit que cette habitude dépende du soin
d’éviter les embûches qu’on lui tend, ou de la délicatesse
de ses jeiix que la lumière du soleil blesseroitj
pour peu qu’elle fût trop abondante. Cette seconde
cause pourroit être d’autant plus la véritable, que presque
tous les animaux qui passent la plus grande partie
de leur vie dans des asjles écartés et dans des cavités
obscures, ont l’organe de la vue très-sensible à l’action
de la lumière.
Les membres du glanis étant arrosés, imbus e.t profondément
pénétrés d’une humeur gluante, peuvent
résister plus facilement que ceux de plusieurs autres
habitans des eaux, aux coups qui brisent, aux accidens
qui écrasent, aux causes qui dessèchent; et dès-lors
on doit voir pourquoi il est plus difficile de lui faire
perdre la vie qu’à beaucoup d’autres poissons *.
On a pensé que sa sensibilité ëtoit extrêmement
émoussée ; on l’a conclu du peit d’agitation qu’il éprou-
voit lorsqu’il étoit pris, et de l’espèce d’immobilité
Discours sur la nature des poissons•